samedi 27 juillet 2019

LE TEMPS NOUS A-T-IL POSÉ UN LAPIN ? (suite) / passé, chasse et nature.

Dans la rubrique "Vous avez la parole" du bulletin municipal "Le Cagnard" n° 9 de juillet 1998, un article de Francis Patrac, non en tant qu'ancien adjoint au maire de la municipalité "de gauche" mais en tant que Président du Syndicat de Chasse :

"LE LAPIN DE GARENNE

 Notre Garrigue à Fleury, il y a quelques années à peine, était une véritable lapinière, tellement elle était dense en lapins de garenne, ce rusé petit gibier qui faisait la joie de nombreux chasseurs pérignanais. Les combes de la Pagèze, de Canibel, du Léger, de Tuffarel, le Fourayou, Bouïsset, la Broute, la Cresse, Courtillou, les Pins de la Mairie : autant de lieux, autant de tènements qui, dès le lever du jour, résonnaient de la voix des chiens, de la musique des petites meutes de courants. Découragement ! Désespoir ! il n'y a plus aucune empreinte,aucune crotte, aucun "îcagadouî" comme disaient nos anciens, signalant la présence de ces véloces boules grises.

Quelles sont les véritables raisons de la disparition de ce gibier de base qui permettait de chasser toute la saison, sans jamais compromettre son capital reproducteur ?

Bien sûr, il y a eu cette épidémie dévastatrice qu'a été la myxomatose. Mais alors que le lapin paraît de mieux en mieux résister à cette maladie, il doit maintenant faire face à un autre terrible virus, celui du V.H.D., maladie hémorragique virale. cette maladie a été répertoriée par la France en 1988, sans doute importée d'autres continents. Elle est foudroyante et l'incubation dure d'un à trois jours seulement. Les lapins n'ont pas le temps de maigrir et meurent en poussant quelques cris. On ne retrouve que très peu de carcasses car les prédateurs, aussitôt, les font disparaître. Mais tel territoire où l'on avait cru voir quelques traces d'une colonie de lapins, est retrouvé, du jour au lendemain, vide de leur présence.

 Une autre cause, plus naturelle, est l'abandon de la Garrigue à la friche et aux broussailles : "la Garrigue se ferme", nous disent les techniciens. Plus d'espaces cultivés, plus de champs, plus de ces petits lopins de vignes entretenus à la main par de modestes viticulteurs : ils étaient journaliers et le soir ils défrichaient, bichonnaient des parcelles de quelques dizaines de ceps de vigne, disposées en terrasses. Il fallait couper les racines des chênes kermès, entretenir les murailles de pierres sèches, aplanir les trous des sentiers, aménager les abris et les caches pour les outils et les produits de la vigne, curer la citerne, excellente réserve d'eau toute l'année.

Ces petits espaces où l'on voyait aussi quelques arbres fruitiers, quelques plants d'artichauts étaient fréquentés par le lapin de garenne que les murailles protégeaient des prédateurs. On voit encore dans la Clape ces vestiges d'une époque qui n'est pas très lointaine. Il serait intéressant, pour les randonneurs, pour les chasseurs, pour tous les amoureux de notre garrigue, d'en dégager quelques coins, d'en restaurer quelques vestiges, de retrouver ces anciens sentiers que l'on empruntait à pied, fusil et gibecière au dos par les matins frisquets d'automne. On prévoyait petit-déjeuner et déjeuner, et on ne rentrait qu'à la tombée du jour. Le sac pesait le matin et s'alourdissait quand la chasse avait été bonne.

Bien sûr cultiver la garrigue comme au début du siècle est définitivement révolu, nous le comprenons, et nous ne pratiquerons plus la chasse comme autrefois. Mais qui sait ? Rêvons, agissons, racontons-nous ces souvenirs, essayons par une action raisonnable et intelligente, de favoriser le retour de ce petit gibier irremplaçable qu'est le lapin de garenne.

Le sanglier et sa présence dans la Clape est-il responsable de la raréfaction du lapin ?

Un prochain article pourrait en parler." 








vendredi 26 juillet 2019

LE TEMPS NOUS A-T-IL POSÉ UN LAPIN ? / passé, chasse et nature.

Il y a encore 60 ans, plus qu'un mode de vie la chasse représentait une ressource non négligeable pour les familles, surtout concernant le petit gibier. En un demi-siècle, le rapport à la nature a  été chamboulé, les conditions de vie ont complètement été bouleversées, les mentalités ont suivi. 
Voilà une paire de mois, sur le bulletin municipal "Le Cagnard" de juillet 1998, un article sur la chasse au lapin signé par le président du syndicat de chasse, resté aussi dans les mémoires en tant qu'instituteur, aujourd'hui disparu (novembre 2018), Francis Patrac. 
Et pas plus tard qu'hier, la page la plus émouvante sur la détresse des lapins, il est vrai signée par une plume des plus prestigieuses, Maurice Genevoix. 

1939 Tableau de chasse aux lapins de garenne et autres gibiers. Wikimedia Commons. Auteur Unknown 1939.
Vers 1950 et même avant  : 

"... C’est encore l’oncle Noé qui avait ce chien étonnant nommé Picard. Lorsque sa sœur Marie-Louise et son beau-frère Jean Grillères (ça s’est produit au moins une fois, et lui, faisait comme si cela avait été habituel) décidaient de venir à Fleury manger chez eux, et que rien n’avait été prévu au menu, l’oncle et son chien – la chasse étant déjà fermée – allaient faire un petit tour dans les vignes voisines, à commencer par la grande vigne qui laissa la place à la maison Fabregas, au centre médical, et dans un mois … à la pharmacie, et ils revenaient dès que Picard avait pris un lapin. C’était l’époque où les  « garennes » (plur attesté in Petit Robert) étaient nombreux, sans pulluler comme ils le firent en 1942 : à cette époque, en une semaine, papé Jean en avait pris (les trappes étaient forgées à Villesèque-des-Corbières) quarante-trois !!! De quoi garnir le « riz au gras », les « pâtes en sauce », ou de les rôtir à la broche, alors qu’il n’y avait pas grand-chose à se mettre sous la dent … et que la myxomatose, heureusement, ne sévissait pas encore..." 
Histoires de chiens, chapitre La Rentrée, Caboujolette (2008) François Dedieu.

Ce passage venait prolonger un constat représentatif des années 60 : 
"... La garrigue, en septembre, c'est l'ouverture de la chasse. Le premier dimanche, passées les dernières maisons, ça pète sur tous les coteaux. 
Les hommes crient, font le siège des buissons (1)[...] le plus vaillant (des chiens) investit la garrouille, les hommes le suivent au bruit du grelot. Affolé le lapin déboule. Les fusils tonnent, le lapin roule, stoppé dans son élan et finit dans la gibecière [...]
 La chasse au lapin est une chasse populaire. Chacun est sûr d'amortir le prix des cartouches : les lapins prolifèrent [...]. Dans la garrigue pas moyen de faire venir un mailheul (2)... "

(1) garrouilles de kermès.      
(2) jeune plantation de vigne.