vendredi 19 septembre 2014

Fleury en Occitanie / AMOUR DE JEUNESSE ET ARCÈLLIS. (HOMMAGE Á PAUL ARÈNE).

    Si la pression sur les milieux naturels ne dépasse pas des limites irréversibles, les cuisinières de Montpellier pourront peut-être encore trouver des clovisses pour les marier aux épinards. Au cours de ces recherches très incomplètes, un ouvrage (Anthologie du félibrige provençal / 1850 à nos jours / Poésie. Par Ch.-P. Julian et P. Fontan. « Des poètes de la deuxième génération aux poètes actuels » Paris librairie Delagrave 1924) vient mêler nos clovisses à une histoire d’amour...
    Le livre cite, en effet, quelques rares poèmes de Paul Arène dont « LIS ARCÈLLI », une scène de marché à Beaucaire, antérieure à 1871. 

                                                              Petits gris sur le marché d'Arles

    C’est une belle journée qui évoque le printemps et peut-être l’été. Si Paul Arène saisit le blanc éclatant de la chaux sur les murs, "las chatounos", les jeunes filles qui vont en laissant voleter leurs rubans, sont loin de le laisser indifférent. Notre poète a moins de trente ans, il est encore "jeune homme" et en quête de l’âme soeur... A nous qui connaissons la suite, il le laisse entendre, serait-ce avec pudeur et retenue :  
       
            « ... Dóu poulit marcat gardarai memòri... »  Du joli marché, je garderai mémoire...
   
    Lorsqu’il rencontre Naïs, une jeune fille en beauté qu’il semble connaître, ses sentiments se confirment :

«... /... Si péu frisadet, de rouge flouca,                   ... / ... Ses cheveux mis en forme, de rouge pomponnée,
Naïs, aquéu jour, fasié soun marcat;                                  Naïs, ce jour-là, faisait son marché ;

Coume passerian subre la placeto,                                    Alors que nous passions sur la placette,
Croumpavo Naïs d'arcèlli de Ceto;                                    Elle achetait, Naïs, des arcèlli de Cette ;

Croumpavo d'arcèlli, e quand nous veguè,                         Elle achetait des arcèlli, et quand elle nous vit,
Leissè tout, Naïs, e nous sourriguè...»                                Elle laissa tout, Naïs, pour nous sourire... (1)

           
    Naïs achetait donc des clovisses, ces "arcèllis" qui viennent de la ville de Cette (orthographiée « Sète » seulement après 1927) ; ce n’est qu’un détail car elle aurait pu tout aussi bien prendre des sardines, des escargots à côté ou des tomates plus loin. Ce qui importe est que la circonstance la trouble :

«... Adounc la vesènt s'enfloura, pecaire!                       ... Ainsi nous voyons son teint fleurir, pauvrette !
— Vous aurié fa pòu, moussu voste paire?.. »              
—  Vous aurait-il fait peur, monsieur votre père ?.. »

    Paul Arène se promenait donc sur le marché avec le père de la jeune fille. Ils la taquinent un peu et reparlent, au repas du midi,  de ses pommettes rosissantes :

«... Aquéu meme jour dinavian ensèn:                             Ce même jour nous dînions ensemble :
Naïs nous countè la causo en risènt;                               Naïs nous raconta la chose en riant ;

En risènt Naïs me pourgié d'arcèlli...                              En riant, Naïs me présenta les clovisses...
E coumpreniéu pas, badave coume éli;                          Et je ne comprenais pas, comme elles, bouche bée ;

Mai ié sounje enfin, bedigas que siéu!                            Mais j’y pense enfin, nigaud que je suis !
Sounje qu'erian dous: soun paire emé iéu,                      Je réfléchis que nous étions deux : son père et moi,

Lou jour que Naïs, subre la placeto,                              Le jour que Naïs, sur la placette,
Rougiguè 'n croumpant d'arcèlli de Ceto. »                    Rougit en achetant des arcèlli de Cette.
               
                        Paul Arène. Sisteroun, 22 de nouvèmbre 1871. (Armana Prouvençau, 1873.)

                                                                     Paul Arène, portrait

    Qu’en touches délicates, cet amour naissant est dépeint... Et comme nos modestes clovisses figurent dans le tableau, on en oublie notre recherche prosaïque, même si la production locale, dont celle des coquillages, a prévalu dans l’alimentation de nos aïeux, une réalité, jusqu’au milieu du XXème siècle sinon les années 60... Une idée qu’il serait bon de promouvoir en priorité, en ce début de troisième millénaire...
    Je vous embête, non, vous qui voudriez savoir si les prénoms Naïs et Paul ont été liés sur un faire-part et un menu de noces aussi copieux que gourmand ?  

(1) ainsi que pour les vers qui suivent, ce n’est qu’un essai de traduction... Toute proposition positive sera la bienvenue ! 

source : http://sites.univ-provence.fr/tresoc/libre/integral/libr0420.pdf

photos autorisées : merci Wikipedia

mercredi 17 septembre 2014

Fleury Golfe du Lion / ÉTANG DE THAU, ENCORE DES COQUILLES (5).

        Ah ! Thau, l’étang unique que l’on découvre, en revenant de Montpellier, avec la montagne de Sète et la mer derrière le lido ! Surtout ne soyez pas rebuté par l’odeur de vase qui s’échappe parfois de ses rives car sa masse d’eau, des plus saines, se renouvelle régulièrement. 


Unique, il l’est, à n’en pas douter, comparé aux autres étangs lagunaires du Languedoc-Roussillon... Lagune lui-même, mais profond de plus de 4,5 mètres en moyenne avec des fonds de dix mètres et aussi le gouffre de la Vise, celui de la source sous-marine à grand débit, à 32 mètres de la surface, le bassin de Thau occupe une cuvette calcaire, un synclinal. Si sa géographie et l’histoire de la présence humaine sur ses bords méritent mieux que cette brève présentation, l’exploitation qui en est faite est néanmoins susceptible de faire avancer notre affaire. Parce qu’en plus des moules et des huîtres, pour ne parler que des coquillages, le ramassage des palourdes et des clovisses rapporte (rapportait ?) économiquement.
    Faut-il en parler au passé ou nous rassurer d’une réalité qui, si elle voit au cours des années 2000, fluctuer la ressource en clovisses, témoigne cependant de leur présence ? Du temps de la Deuxième Guerre Mondiale, d’après Paul Marres, volume 16 des Annales de Géographie (1947), les palourdes (Tapes decussatus) vivent dans le sable des "planières", ces plate-formes appelées "cadaules" ou "tòs" lorsqu’elles sont triangulaires, entre 2,5 et 4 mètres d’eau ; les clovisses (Tapes virgeneus), elles, se trouvent au fond, jusque vers 10 ou 11 mètres. Le ramassage de ces dernières se pratique depuis une nacelle (1) grâce à l’arselière, un râteau muni de dents, emmanché sur une perche de 7 mètres et prolongé par un filet tandis que les palourdes se pêchent en plongée avec une sorte de griffe à trois dents. L’auteur précise par ailleurs que ce ramassage de coquillages sauvages, existant aussi pour les moules et les huîtres, à l’aide d’un grappin, fut remplacé par l’élevage des moules et des huîtres à partir de 1920. 
    Le site https://archive.org/stream/annalesdumused05mus/annalesdumused05mus_djvu.txt (Annale Musée de Marseille vers 1899) précise :
« ... Prises avec l’arselière, les clovisses (ou arseli) sont mises dans des banastes en osier. Les plus courantes sont Tapes petalinus et Tapes aureus ; decussatus s’enfonce davantage sauf en juillet et août suite au réchauffement des fonds.
    Ce sont les plus communs et leur abondance est vraiment prodigieuse... /... entre Marseillan et Mèze jusqu'à l'Abysse (autre nom du gouffre), par 3-7 mètres de profondeur. Les vases qui se trouvent en avant du canal des bordigues sur l'étang des Eaux blanches, ainsi que ce canal lui-même, donnent également lieu à une exploitation assez importante...» 
    Sur la page « Musée scolaire Deyrolle / Histoire naturelle de la France / 6ème partie mollusques par Albert Granger » (2) nous pouvons lire que les clovisses sont du genre Tapes dissocié du genre Venus à cause d’une différenciation certaine concernant les « coquille, charnière, sinus palléal, byssus, manteau, siphons assez courts ».
Ces coquillages édules (edulis = mangeable ?), appelés «clovisses » «... vivent enfouis dans le sable et la vase... /... mais le véritable centre de production est l’étang de Thau ; tout un quartier de la ville de Cette, situé au bord de l’étang, nommé la Bourdigue, est habité par les pêcheurs de clovisses. Chaque matin une flottille de barques  part de ce quartier et sillonne l’étang de Thau : chaque barque est montée par un homme qui se tient à l’avant, muni d’un râteau en fer, garni de dents et auquel est adapté un long manche : à ce râteau qui remplace la drague, est fixé à un filet à mailles très fines : le pêcheur drague pendant quelques minutes dans la vase et remonte son appareil : le filet, qui est rempli de vase, renferme en même temps une certaine quantité de clovisses qui sont triées au moyen d’un lavage et déversées dans la cale du bateau. Au retour, les pêcheurs séparent les Mollusques par grosseurs, et en remplissent les paniers qui sont expédiés dans toutes les directions. On peut dire que les clovisses sont estimées sur les côtes du Roussillon et de la Provence à l’égal des huîtres, et la modicité de leur prix les rend accessibles à toutes les tables.
    On en trouve plusieurs espèces sur les côtes de France. Tapes decussatus (Tapes croisé) / Tapes pullastra et la variété perforans, Tapes virgeneus et variétés floridus et cateniferus, texturatus, petalinus, bicolor.
    La Tapes aureus se distinguant par un jaune doré à l’intérieur des valves et blanches, vertes, rougeâtres, bleues ou d’un beau violet (beauté de coquillages pourtant si communs). Ce tapes pullule dans l’étang de Thau. » 


    En conclusion, si la clovisse et la palourde se ressemblent au point qu’on les confonde souvent, les prix au kilo de ces coquillages ne laissent aucun doute : la première reste plus abordable que la seconde (7 € en moyenne au lieu de 18 sinon davantage). Disponibles sur l’Internet, des archives diverses font état de prélèvements (http://www.bouzigues.fr/musee/francais/etang-thau-2.html / Source documentaire : fiche technique d'étude du milieu "l'étang de Thau" / Les écologistes de l'Euzière - Prades-le-Lez) :

Productions des gisements naturels (en tonnes) :
                   1962     1965    1968    1971  1974   1977    1980
Huîtres            48         14      440      164      72         1        13
Moules            34      573      317      360     210        1,5       5,6
Palourdes      132      109      256      146     282     172      277
Clovisses       355      328      612      255       23        8,5      20


Plus proches de nous (2006), ces chiffres sur la pêche dans d’autres étangs du Languedoc, confirment les prix (http://www.cepralmar.org/documents/suivi-de-la-peche-aux-petits-metiers/SuiviPM%202006.pdf) :
Étang du Prevost / 2 bateaux / plongée / 3 tonnes de clovisses à 4€/kilo en moyenne / CA 12000€. (des entrées de sable dans l’étang ont engendré des difficultés pour la pêche des palourdes et des clovisses).
Étang d’Ingril / 5 bateaux / arceillère / 5 t. 3.8€ moy kilo / CA 19000€
Plus au sud on ne trouve que des palourdes :
Étang de Gruissan / pêche à pied de printemps à la palourde 6 navires, 3t., 11€kilo = CA 33000€ (problème de petite taille).
Étang du Grazel / à pied, plongée / 15 navires : palourdes (mars à déc)  4T. 12€kil, CA 48000€.
Étangs de l’Ayrolle et de Campignol / pêche à pied, plongée / 15 bateaux / déc à sept/ 2.5 t palourdes 15€kilo moy., CA 31500€ / problèmes dus au braconnage. 

(1) petit bateau à rames, sans mât ni voile.
(2) Albert Granger (1837 - 1911) et le livre daterait peut-être de 1886.

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