jeudi 30 décembre 2021

DÉJÀ UNE PETITE CAMARGUE... et une agante* avec Brassens...

Je veux bien être l'imbécile heureux tant décrié par Brassens, bête et méchant, sûrement parce qu'il faisait partie lui-même de tous ces imbéciles prétentieux montés à Paris pour faire croire que leur possible réussite ne devait rien à leur lieu de naissance... 
 
"... habités par des gens qui regardent
Le reste avec mépris du haut de leurs remparts, 
La race des chauvins, des porteurs de cocardes, 
Des imbéciles heureux qui sont nés quelque part..."

 
"... Maudits soient ces enfants de leur mère-patrie
Empalés une fois pour tout's sur leur clocher..."

Non, non, Brassens, j'adore sauf qu'aimer quelqu'un c'est l'accepter dans son entier, sans dire amen à tout. Pas question en effet, au prétexte qu'on a un village, une église, une plage, de mépriser, comme il l'affirme, par chauvinisme, le reste du monde... Georges ajoute "cocardier", ce qui s'avère pour le moins, contradictoire. Et puis quand, outrancier, il se lâche en se référant à Moncuq, la localité, juste pour l'équivoque sur l'homonymie, c'est qu'il n'a pas d'argument à faire valoir... Ce n'est pas le tout de faire rimer mazette sur un hémistiche, cela ne vaut tripette... Enfin, c'est Brassens...   
 
"... Qui vous montrent leurs tours..."

Hola, en quel honneur cette entrée cavalière ? Si, si, je sais, il suffit de remonter dans mes chroniques : les petits oiseaux, le chemin d'école du grand-père, la garrigue, la fête de la Saint-Martin, les vendanges, Saint-Pierre-la-Mer, la plage, l'étang, la rivière... je ne suis que l'imbécile heureux né quelque part, et à y être, le demeuré, le ravi du Midi !

Brassens_TNP_1966 BNF wikimedia commons Author Roger Pic (1920-2001)

Mon pauvre Georges, en dépit de tout ce que tu as attaqué avec cette chanson, défendre ceux qui sont nés quelque part ce n'est pas plus pour les vanter que pour les montrer, juste pour ce qu'ils sont, ce qu'ils ont en commun... Malheureux ! sinon ils nous ont bien assez envahis comme ça, les gens nés nulle part, ils sont même plus nombreux que nous, nous, les indigènes en minorité... c'est comme ça, on n'a rien contre... ce sont des gens bien, en majorité... Maintenant cela doit-il nous interdire de dire qui nous sommes, d'un terroir, du cru comme tu le dis, avec un passé, une vie à partager, des fondements à rejoindre puisque eux viennent de partout... Ensuite, pour le futur, on verra bien ce que deviendra l'âme du pays, le présent n'a pas la main dessus et de toute façon, cela ne saurait en changer le passé... Au nom de tout ce qui précède, crois-tu que de ton endroit cosmopolite, il était aimable de tous nous traiter de jobards ? Aurait-ce à voir avec ceux qui te collaient aux basques, t'interdisant, célébrité oblige, de flâner à Sète, t'obligeant à chercher refuge dans les cabanes à Lolo, loin, à Balaruc ? 

Mais, imbécile que je suis, bien sûr que tu m'as fait marcher... Tu nous as signifié tant de choses, tu joues au provocateur alors que tu as souvent chanté le contraire... Ne nous dis pas : le petit cheval, les papillons, le chêne, l'amandier, la plage de Sète, Martin, Margot, Hélène, Bécassine, Gastibelza, de toi sinon des grands que tu honores, tout sent la province, l'humus, la campagne, le crottin qui te répugne... Si tu avais vu, d'une des maisons aujourd'hui rasée pour laisser, au nom d'un paraître comptant plus que la beauté intérieure, notre vieille église désormais orpheline des appentis entre contreforts, dont ceux pour abriter les chemineaux ou stocker les feux d'artifice du 14 juillet ! Notre église Saint-Martin, cathédrale à mes yeux d'enfant attendant l'entrée en scène d'Esmeralda, orpheline des maisons accolées laissant une touche moyen-âge... Pardon, j'ai laissé le crottin en chemin, celui des vieilles filles sorties aussitôt au cul du cheval, avec la balayette et la pelle ad hoc... si tu avais vu leurs géraniums ! 
Mais, suis-je bête, avec le bel accent que tu as gardé, bien sûr que tu es né quelque part et que c'est ce qui t'agace... Bien sûr que tu es resté celui de la Pointe Courte, du Rocher de Roquerols au milieu de Thau, des copains d'abord ; et si tu aimes chanter c'est que tu as de qui tenir, de cette colonie italienne venue de Campanie... Sur les quais de Sète, une fois, j'ai entendu un pêcheur qui ravaudait son filet... une voix magnifique, je suis resté un bon moment, j'en ai encore une larme à l’œil !  

Je savais que je devais t'aganter* un de ces quatre, sans savoir que je tomberais sur toi ce jour. Et dire que je voulais refaire la piste, depuis Saint-Pierre au pied de la garrigue, vers Les-Cabanes, par les sables vaseux de Pissevaches, les sansouires des Terres Salées, là où une pointe d'imagination suffit pour découvrir une vraie petite Camargue avec, vers midi, les découpures dansantes, les prismes colorés déjà cubistes de Cézanne, la silhouette de Mireille ou de Magali qu'un mirage disloque et floute à dessein : l'Arlésienne, toujours présente et jamais là, quatre petites pages d'Alphonse Daudet, pour celles qu'on a aimées, qu'on a cru ou aurait pu aimer, quatre petites pages à vous briser le cœur parce que le souvenir bouleverse, trop vivant, à cause de la pensée qui se refuse à l'amputation d'une parcelle de ce que nous fûmes, évaporée, devenue regret, remords, chagrin ou mélancolie... Tant pis, mon titre, je le garde. Demain, promis, le Cerç aura lavé et le ciel et mon âme. Nous irons, à la rage du soleil. 

* agante s.f. dérivé de l'occitan, querelle, chicane, bisbille, dispute, empoignade... 

En légende des photos, les paroles de la "Ballade des gens qui sont nés quelque part" G. Brassens. 

 

mercredi 29 décembre 2021

"TOI ET LES PETITS OISEAUX !" (1)

Il y a longtemps, je t'ai eu dit  "Tu crois qu'il n'y a que toi et les petits oiseaux ?!". 
Il fut un temps où, pour signaler que les autres, et moi tant qu'à faire, comptaient aussi et qu'il fallait se montrer plus altruiste, on disait "ne crois pas qu'il n'y a que toi et les petits oiseaux !". Te concernant, tu es toujours là, rien n'a changé (tu as évolué ? en bien, j'espère...). Tant mieux... tant d'autres nous ont quittés en chemin... Les oiseaux aussi disparaissent, petits ou grands, mis en difficulté en premier lieu par les pratiques humaines. Plus des trois quarts auraient disparu avec autant d'insectes... un bond en arrière, une famine à la Mao-tsé-Toung... 

C'est à peine si on le réalise et pourtant, ne se sent-on pas transporté lorsque des cris nous poussent à regarder au ciel, pour une fois vers autre chose que du monnayable ? Comment notre cœur pourrait ne pas accompagner cet élan à la vie à la mort, d'un peuple migrateur (1) que les premiers hommes devaient regarder aussi pour appréhender les saisons, escompter leur subsistance, réaliser le temps qui passe ?  

Guêpier d'Europe Merops_apiaster_displaying_to_female_in_Germany wikimedia commons Author IRahulSharma
 
Hirondelle rustique wikimedia commons Author Malene Thyssen

En dépit d'un virus qui finalement alimente une propagande dirigiste n'augurant rien de bon, avec l'automne, les regards se tournent vers le céleste... Oh déjà en août quand les chasseurs d'Afrique se rejoignent avant de partir, ou encore en septembre lorsque les hirondelles se regroupent sur les fils (2) et que je veux leur dire "Pas encore...". Et les martinets, nous quittent-ils plus tôt encore ? 

Sinon l'impulsion au départ devient plus forte et partagée, avant et après l'équinoxe, avec les jours qui diminuent. 
 
Source Pinson_des_arbres_3_(50103847797) wikimedia commons Author Sébastien FAILLON

Le 5 novembre, à Gruissan, les ornithologues ont compté 850 pinsons, le 13, à Saint-Pierre passaient 110 grues cendrées... Les hommes ne prédisent-ils pas que le froid ne va pas tarder si les migrateurs passent en nombre ? 

J'avais griffonné quelques données de ce genre qui me reviennent aussi soudainement que le coup sec, dans le vallon, comme d'un fusil qui d'instinct me rappelle les chasseurs, l'ouverture, ce temps où le gibier semblait offert pour agrémenter les menus plus basiques de ces années 50-60. L'occasion de constater ce que les observateurs ont noté : 

Étourneau wikimedia commons Author Brigitte ALLIOT

 Mercredi 22 décembre 2021, à Fleury, 378 étourneaux... on ne peut pas penser qu'ils ne causent pas des nuisances surtout pour les voitures sous les platanes-dortoirs. A l'époque on les chassait, comme je le vis faire au berger, déjà depuis les dernières maisons, alors que les oiseaux se gavaient de raisins, là où, pour ceux qui connaissent, se situent les tennis et les lotissements. Sinon, à une période, les gens pouvaient en acheter chez Odette, la buraliste, les plumes encore trempes parce qu'ils venaient de l'étang de Vendres où on les plombait de nuit, dans les tamaris pour les repêcher à l'épuisette. On a dû s'en procurer une fois mais non sans remords car, au pays de mes grands-parents maternels, l'étourneau qui chante si bien est apprécié pour sa chasse aux insectes et chenilles au moment des nids... On ne s'en est pas vanté... 

Moineau friquet juvénile Passer montanus wikimedia commons Author Gunnar Creutz

 Ce même jour, Romain, l'observateur, note 9 moineaux et 2 moineaux friquets. C'est dit en une petite phrase mais qui, à titre personnel, pèsent lourd en émotions. "Romain" c'est le nom du copain Mazo, depuis la communale, qui a tant photographié les oiseaux et qui nous a quittés voilà déjà un an. Les moineaux... dont ceux que j'ai tués... c'était dans les mœurs alors puisqu'on saignait les lapins et le cochon, que mamé étouffait les pigeons et que même mon père parlait des "moineaux pillards" venant voler le grain des poules... Et puis Mao, encore lui, cet obsédé sexuel, a fait pire ! Bref, sans donner dans une repentance aussi ridicule qu'anachronique, je regrette cette facette d'enfant cruel qui n'avait pas à en rajouter au naturalisme brut et prégnant d'une vie encore rustique. A présent, en voir un, l'entendre, relève d'un plaisir presque miraculeux. Même d'écrire "friquet" m'a touché... mais là encore il faut être du village pendant les Trente Glorieuses pour comprendre... enfin "glorieuses" du point de vue ménager, économique, parce que Friquet avec la majuscule, appelé ou rappelé en Algérie risquait, lui, de revenir les pieds devant... A l'évocation du film "Avoir vingt ans dans les Aurès"je pense à Vilmain (3) dit Friquet et à son pote Maurice le Bourguignon, toujours là, c'est heureux ... A parler de gloire, je dirais que la leur fut de rester vivants pour devenir beaux-frères... Avoir vingt ans et y rester comme Francis Andrieu, tué en 1962 et inhumé par un jour de plein été indécent... 

 A vouloir parler des oiseaux, on en arrive à raconter la vie tout court, enfin en large et en travers, comme lors d'une discussion au coin du feu. Demain, promis, je vous reparle des oiseaux...           

(1) je reprends à dessein le titre du magnifique film documentaire si bien raconté par Jacques Perrin, "Le Peuple migrateur", tourné en trois ans, diffusé en 2001... Qu'est-ce qui a changé depuis ? Surtout pas la connerie des hommes... pardonnez mon haut-le-cœur malheureusement fondé...  

(2) les fils on les enterre, pour l'esthétique... ils avaient au moins cette utilité et nous ne voyons plus les hirondelles qu'à kitchopourrit sur les quelques râteaux télé qui restent... 

(3) Maçon de profession, Vilmain a été notre professeur apprécié de judo, un sport qu'il a eu l'honneur de lancer au village. Décédé en 2016, à 75 ans, tu aurais pu rester encore un peu...