Ah la jeunesse ! Elle ne réalise pas combien les sépultures pèsent dans la chronique des jours qui passent. Puis, au fur et à mesure qu’elle mûrit, surit et s’approche de la sienne, la liste de ses morts s’étoffe. Avec la fête du village pour la saint-Martin, en novembre, ça fait un peu Toussaint sauf que le départ d’un jeune n’entre pas dans le cadre d’une normalité. L’évoquer, près d’un quart de siècle plus tard, ce n’est pas raviver le malheur de ceux qui le portent à jamais, c’est seulement préserver la petite flamme de la vie pour l’aimer plus encore quand bien même cela nous pousserait à trop de réalisme sur ce qui nous attend. On n’est vraiment mort que lorsqu’il ne reste plus la moindre petite pensée d’un vivant à notre égard.
Oh les jeunes ! Il faut lire en diagonale ! Passez légers sur les chroniques nécrologiques ! Surtout que nos petits grandissent bien... Il faut un temps pour tout... Soyez heureux tant que le destin le veut bien car tout peut changer et vite... Mais ce n'est pas une raison pour n'être que des conso-pollueurs... et puis soyez pas courges en donnant dans ces fêtes de la citrouille plus symboliques du "markettinge" des hypers qu'emblématiques du potager et qui plus est en opposition avec, le jour d'après, le recueillement de la Toussaint...
Coucher de soleil automnal / Fleury / 2018 |
«Fleury-d’Aude, le 11 novembre 1996
Bien cher fils, je commence ce soir cette cinquième lettre de ta troisième année si loin de nous alors que la fête locale de la saint-Martin, qui a vu beaucoup de monde cet après-midi sur la place du Ramonétage, a déjà éteint toutes ses lumières depuis au moins une heure, et il n’est pourtant que 23 h. Seul le bal doit encore drainer quelques couples à la Salle des Fêtes (1). La cérémonie traditionnelle a eu lieu au monument aux morts, avec dépôt de gerbe, allocution du maire, deux remises de décorations, Marseillaise quelque peu «nonchalante» interprétée par quelques éléments de l’orchestre du bal, et elle a été suivie par le «pot de l’amitié» non moins traditionnel.
Comme je revenais, j’ai pensé aller voir, sur l’avis de décès du malheureux Sébastien Chavardès, 25 ans, qui était dans le coma depuis son accident de la route de Saint-Pierre, à la hauteur du chemin de Tarailhan, l’heure des obsèques. Pierre Bilbe a monté les marches après moi et il me dit «Je viens de la maison pour signer mais rien encore alors je m’approche du monument, la cérémonie ne va pas tarder puisqu’il est midi moins cinq.» Je lui ai répondu que c’était déjà terminé et que nous avions même bu l’apéritif. Il en est tombé des nues tant il était attrapé. Il est vrai qu’ils étaient en avance sur l’horaire, sans doute à cause de Mr le Curé qui célèbre des messes plus courtes en général que de coutume.../...
L’été de la Saint-Martin n’a pas failli à la tradition, nous avons pu faire nos promenades habituelles ; maman a trouvé quelques lactaires délicieux dans la forêt de Bouïsset.../
... Jeudi 14 novembre 1996.
Mardi à 15 heures avaient lieu les obsèques du jeune Sébastien Chavardès, et c’est une foule énorme qui l’a accompagné à sa dernière demeure. L’église St-Martin s’est révélée beaucoup trop petite et nombreux sont ceux qui ont attendu la fin de l’office des morts sur le parvis et dans la rue. Le cortège funéraire fut plus impressionnant encore puisque le corbillard était pratiquement devant le cimetière alors que les derniers s’engageaient à peine dans l’avenue de Saint-Pierre. La famille trop éprouvée n’a pu remercier. Le pauvre Georges ainsi que sa femme Marcelle restent sous le choc. J’arrête ici cette évocation pénible.
Ce matin en revenant de Narbonne nous avons fait le plein... d’eau de Vinassan, derrière la Coopé. Nous étions les seuls, ce qui est plutôt rare mais il faut dire qu’il était plus de midi et que l’heure invitait plus au repas qu’à la source.
Cet après-midi le temps s’est soudain rafraîchi ; les champignons ne pousseront plus. Bien qu’il ne fasse pas trop froid encore, une flambée vespérale est la bienvenue et j’ai commencé ce soir à brûler quelques bûches dans le poêle (on a eu écrit «poële» avec un tréma, notamment quand j’étais à l’école de Fleury avec M. Teisseire, bien que ce fût déjà la graphie avec accent circonflexe qui l’emportât. Je t’écris du bureau où je me suis installé pour profiter de cette petite chaleur...»
Correspondance François Dedieu novembre 1996.
Sébastien, Pedro (2), papa, monsieur Teisseire, Aimé de son prénom je crois... 24 ans après, lire vos noms, les écrire... c’est la petite pensée qui quelque part vous garde encore vivants...
(1) Le 11 novembre tombait un lundi cette année-là avec une reprise brutale le lendemain pour les festéjaïres des villages fêtant la saint-Martin. (JFD)
(2) Ne trouvant pas Pierre Bilbe, j’ai trouvé «Pedro» sur https://deces.politologue.com/ un site qui intéressera peut-être certains même si d’autres moyens plus officiels donnent une chronologie des personnes décédées.