Lire, corriger, relire, reprendre, s'y remettre, relire encore : un cycle toujours recommencé pour qui veut faire passer son émotion, ses sensations, ici par le tamis des mots mais ce doit être la même chose avec les mains, la voix, des notes de musique, un pinceau, un burin...
Un exercice, une addiction presque, pour laquelle il faut se limiter si un produit fini doit être publié, exposé, livré au public... au bout de trois relectures, il faut larguer les amarres... vous qui portez une sympathie certaine aux articles proposés, pourriez en témoigner.
Ce voyage en Tchéco, en Tchécoslovaquie, qui paraît en feuilleton depuis le 25 juillet, s'avère être aussi une introspection, un voyage en soi, un voyage, également, avec ceux, proches ou connus qui ont accompagné notre vie, ajouté à notre culture et encore un voyage dans l'Histoire de nos semblables, dans notre propre histoire (d'où l'importance que devrait avoir une majuscule). Et revient ce dicton attribué au peuple du vent, aux Tziganes, aux Gitans « Ce n'est pas le but du voyage qui compte, c'est la route », « Le but, c'est le chemin » aurait dit Goethe aussi...
La famille, les cousins constituent bien un but de voyage, surtout après six années d'éloignement, quand on s'aime... La route, le véhicule, ce vecteur virtuel, ne sont qu'amour, un domaine pour lequel on ne compte pas. A-t-il un coût seulement puisqu'il rend plus riche ? Partir sans aller vers l'autre enlève bien du prix à un voyage pourtant cher payé...
Ces considérations brouillonnes qui pourraient relever du travail préparatoire à une dissertation, amènent à parler d'amitiés particulières rappelant une situation qui ne s'est heureusement pas reproduite depuis, celle de la Deuxième Guerre Mondiale faisant s'entretuer des gens... et en naître d'autres qui sans cela ne seraient pas... laissons un auteur remarquable l'exprimer sans ambiguïté aucune :
« La guerre, un massacre de gens qui ne se connaissent pas, au profit de gens qui se connaissent mais ne se massacrent pas. » Paul Valéry.
En partant pour la Tchéquie, dans ce voyage vers les autres, il faut s'arracher à son monde, à sa partie de monde. Ici c'est celle, liée à la naissance, l'enfance, une des périodes qui comptent le plus mais pas “ romaingaryesque ”, tournée vers son nombril, aurait-on été un éminent écrivain... Un jugement lapidaire, à l'emporte-pièce, sûrement pour avoir abordé Gary avec « La promesse de l'aube »... et puis pour ce que ça vaut, venant d'un obscur écrivaillon poussif, bréhaigne (oui, surtout au masculin) ... et, à moins que ce ne soit plus complexe, pure jalousie, certainement.
Alors on se défend de l'autobiographie trop sucrée, on veut l'aspartamer sinon seulement l'évoquer en parlant des autres, ici, du père et ses amitiés particulières. D'ailleurs, à peine plus loin, juste une touche légère sur Pézenas et les trois années qui ont compté, passées là-bas :
« Pézenas : l’ancienne nationale a gardé ses platanes mais les herbes ont repris le goudron… difficile d'évoquer la Dauphine bleue de papa, qui, le lundi matin, à 110 à l’heure, nous ramenait vers nos classes, vu qu’une inondation n'est jamais venue nous offrir un lundi sans école. »
Béziers, le Pont Vieux, la cathédrale Saint-Nazaire ; la montée de Tour Ventouse est à sa gauche, au pied des arbres. |
Revenons à Béziers, le 17 juin 2024, là où, collé au macadam, le voyage commence, recommence à peine.
Lundi 17 juin 2024.
143.894 km. Départ de son bout du Monde vers 17h 45. Arrêt pipi sur le terre-plein juste après le pont sur l'Aude. C’est malin ! À peine deux kilomètres parcourus !
À peine plus loin, la cité, Béziers, s’affichant en tant que plus vieille ville de France quand ce n’est pas comme capitale du vin ; et là, c’est par la vue magnifique, sur son éminence, de la cathédrale Saint-Nazaire ; empêchée la voie montant au lycée, l’accès par Tour Ventouse, là où, de la tour des remparts, ne reste que le vent… et encore on ne sait plus trop tant, de nos jours, l’atmosphère est perturbée. Le lycée Henri IV, papa y enseigna (1957-1959). Le lycée Henri IV, déjà une invitation au voyage lors de la conférence du répétiteur d’allemand, dans les profondeurs du bâtiment sud, si en hauteur, avec accès extérieur. Martin, il s’appelait… Était-ce son nom ? son prénom ? s’appelle-t-il encore ? Il venait des hauteurs du Bodensee. Beaucoup de monde et le ressenti enthousiaste de l’enfant de huit ou neuf ans qu’il était, accompagnant son père élevé à un rôle de co-vedette puisque Martin, invité à la maison, faisait désormais figure d’ami. Dans cette salle, déjà une invitation au voyage, oui, si empreinte de paix espérée entre les peuples, c’est ce à quoi il pense, soixante-six ans plus tard, dans une réflexion tout à fait anachronique mais positive de la distanciation temporelle forcée.
Son père n’échangeait-il pas, malgré la guerre, avec le notaire de Murrhardt pour avoir des nouvelles d’Hermann, le fils, avec qui il correspondait depuis le lycée ? Hermann avait raconté comment il avait échappé à bien des dangers en faisant, prélude à la déroute annoncée, retraite avec la Wehrmacht depuis les steppes précaucasiennes. À pied.
Et la mise en avant de Martin, treize ou quatorze ans après la guerre, ne traduisait-elle pas un fond d’humanité opiniâtre face aux débordements sanglants menaçant l’espèce d’une autodestruction récurrente ? Une dichotomie encore évidente lorsque l’empathie prend le pas sur l’affrontement. Étonnants ces liens entre la soldatesque d’occupation et les villageois, ce cuisinier allemand demandant à mon oncle Noé s’il ne pouvait le dépanner avec des oignons, ces soldats pleurant auprès des locaux parce que Hitler les envoyait en Russie… de quoi revenir sur les bons, les méchants, le blanc et le noir…
Markdorf_vom_Gehrenberg 2008 under the Creative Commons Attribution 3.0 Unported license Author Andreas Praefcke |
Markdorf_Ittendorf - Andreas-Strobel-Straße 2010 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license Author Franck Vincentz |
Bodensee, lac de Constance, 1976. |
Martin, du plateau souabe, de Markdorf… à deux pas du Bodensee, le lac de Constance ; ils y sont passés une fois : ses vieux parents avaient encore leurs vaches… des bouses, des fruitiers d’une Allemagne rustique, paysanne, au destin solidaire ; des gens concrets, aux sourires sincères, pas des nazis viscéraux aux visages figés, possiblement croisés sur la route et devant honnir une Dauphine à la plaque étrangère. La candeur, la fraîcheur des premiers prévalent toujours, chez les hédonistes, sur les ferments vindicatifs des fanatisés.