Il est russe par force, Porfiri, le Bessarabien de Tazora avant que sa nation ne soit la Légion, sans qu'il n'ait renié quoi que ce soit de son passé ; il a même gardé son nom. Après une année passée en Algérie, il part en Indochine. C'est vrai que le détour est des plus longs pour évoquer son point de chute final, notre village de Fleury-d'Aude mais c'est joliment écrit, alors...
Alors, suivons-le, mais sans perdre de vue la terrible actualité de la guerre en Ukraine, d'autant plus que la concomitance fait que depuis deux jours, en France, la course à la présidence occulte cette terrible actualité. Plus rien sur les chaînes d'infos en continu, sinon un entrefilet pour dire que Marioupol, la ville martyre de la mer d'Azov, va tomber, que les Russes sont sur le point de lancer une lourde offensive sur le Donbass et au moins tout l'Est de l'Ukraine. Ah ! pardon, j'oubliais le rapport à l'est du sous-continent de la part de nos médias : la concurrente à Macron serait la féale, l'affidée du pelé, du galeux d'où vient tout le mal.
Certes, il est horrible Poutine, de replonger l'Europe, en tant que prétendu phare de la civilisation, dans la barbarie, sauf qu'il est bien trop commode de cacher derrière, la nôtre, de vilénie hypocrite. Haro sur ces candidats qui commenceraient avec "Certes", déjà une accointance avec le maître du Kremlin ! Salops de complotistes (oui je le dis comme ça : salaude n'est pas un féminin usité !) ! Bénéficier d'un prêt de la part d'une banque russe, c'est sale... les 80 milliards d'euros, par contre, cédés depuis le début de la guerre en Ukraine, en échange de gaz, pétrole et charbon, sont propres eux... aussi bienséants que les deux ou trois milliards et les sarbacanes offertes pour armer Zelinsky... Désolé mais quand on ose dire que la condamnation de la barbarie ne va pas jusqu'à sacrifier un peu de notre confort consumériste (ne pas mettre en danger notre économie disent les François Lenglet dans une pudibonderie aussi docte que sereine...), notre arrogance civilisatrice s'arrête à un assouvissement de tube digestif...
Pardon de me laisser aller... Vas-y Porfiri, raconte... des fumeries tu dis ? C'est sans fin : quand les vapeurs se dissipent, reste l'esprit munichois des fières démocraties... Inutile de faire donner ce BHL, ce calamiteux des printemps qui avortent, ce hâbleur venimeux, bifide de la tromperie et de chimères, annonçant aussi crânement qu'il le fit, pour la libération de la Libye, les chars de Poutine à Berlin et Paris ! Mais je m'égare Porfiri, Porphyre... enfin, devaient-ils francise leur nom, les légionnaires ? Vas-y, va, raconte...
Enfin, tu vois à quoi on pense à la Légion.
De toute façon, la première année va être bouclée. Quatre ans encore, et s’il s’en sort il reviendra là-bas. Il leur en racontera, des choses, aux anciens copains. Tu verras leurs yeux d’envie ! Mais quatre longues années encore…
Partir toujours…
Rien n’est plus doux qu’un départ en bateau. En cette matinée du neuf novembre mil neuf cent vingt et un, le Pasteur, transport de troupes flambant neuf, quitte les quais d’Oran. La sirène a longuement retenti. Il est sept heures du matin. La côte d’Algérie s’éloigne déjà. La chaleur avait repris ses droits pour « le petit été de la Saint-Martin », mais à cette heure matinale c’est une fraîcheur, presque un froid qui monte des flots bleus de la Méditerranée. Le vent souffle du large et rafraîchit un peu plus l’atmosphère. La ville blanche allonge paresseusement dans le lointain ses avenues splendides de front de mer, ses terrasses d’ordinaire immaculées mais qui aujourd’hui baignent dans une légère brume d’un gris cendré. Le paquebot double allègrement les petits voiliers qui semblent lui faire escorte avec les mouettes rieuses aux cris assez déplaisants. Voici la haute mer, la houle est presque insensible. Si le temps ne se gâte pas, nous allons avoir une belle traversée.
Porphyre vient de passer à partir de ce jour du 1er au 2e régiment étranger. C’est toujours la Légion, bien sûr, mais ce régiment est en partance pour l’Extrême-Orient. L’Extrême-Orient, pour la France, c’est surtout l’Indochine. Ira-t-il voir Saigon et la Cochinchine, les rizières, les fumeries d’opium dont lui ont parlé les anciens qui avaient passé leur temps là-bas, certains en ramenant d’ailleurs des accès chroniques de fièvres paludéennes. Peut-être l’Annam : Hué, Tourane ? Non, ce sera le Tonkin, il l’apprend le troisième jour, alors qu’il est un peu secoué, dans la pièce commune peinte en blanc qui leur sert de cantonnement, par une véritable tempête, aussi violente que courte, heureusement.
Le cinquième jour, voici la côte qui approche. Nous sommes en Méditerranée orientale, c’est l’Egypte. Porphyre songe qu’il n’est plus très éloigné d’Odessa, du moins qu’il s’en est beaucoup rapproché. Et à Touzora, que font-ils à présent ? Son père fait-il toujours brûler un cierge, de temps à autre, en mémoire de sa si bonne mère trop tôt disparue ? Si elle avait vécu, sûr que tu ne serais pas là, toi Porphyre… Enfin, c’est la vie. Pourquoi ne peuvent-ils plus écrire ? La Bessarabie est devenue roumaine. C’est encore un roi qu’ils ont, en Roumanie. Dès le neuf avril 1918, sa province avait demandé son rattachement, mais la guerre ne s’était terminée que le 11 Novembre. En 1919, au Congrès de la Paix, la Roumanie avait vu ses revendications âprement discutées. Elle avait fini par accepter les traités de Saint-Germain et de Neuilly, et avait obtenu satisfaction sur les points essentiels. Ils étaient donc Roumains, là-bas… Et à l’école de Kalarach, la vieille école qui fut la sienne, dans quelle langue se faisaient les cours ? Depuis quand avait-on commencé d’expliquer, en roumain, l’histoire si tourmentée de son petit pays ? Et la « dernière classe » en russe ? Il avait lu là-bas, à Sidi-Bel-Abbès, quelques nouvelles pour étudier le français, quelques contes. Et l’un d’eux parlait justement de ce problème. Il était bien émouvant. C’était La dernière classe, des « Contes du Lundi », d’Alphonse Daudet. Porphyre l’avait lue avec son cœur, cette histoire, et pourtant ce n’était pas la même émotion qui l’étreignait. Il était partagé, lui, vois-tu. Redevenir Roumain, ce n’était pas si mal. Tu sais, Roumain, Grec, Français ou Russe, ce sont des hommes. Il le voyait bien à la Légion, où il y avait de tout, beaucoup d’Allemands aussi. Eh bien, ils se valaient. Naturellement, il avait bien ses préférences, et certains peut-être ne lui plaisaient pas trop. Quelques-uns même l’avaient dégoûté par leurs propos. Heureusement, il y avait cette discipline de fer de la Légion. Lui, Porphyre, il s’en était bien accommodé..." *
François Dedieu, Un "Russe" à Pérignan / Caboujolette, Pages de vie à Fleury II, 2008.
SS Patria transportant des troupes en 1918-1919 wikimedia commons photographe inconnu |
Notes : le SS Pasteur, paquebot de la Compagnie Sud-Atlantique, n'a été lancé qu'en 1938. Alors seul un historien ou fidèle de la Légion Etrangère saurait nous dire sur quel navire transporteur, occasionnel ou non, de troupes, Porphyre Pantazi est parti pour Haiphong, depuis Oran, vers 1920.
Rien que dans les 600 ou 700 noms de paquebots donnés par Wikipedia, au moins les 45 dont les noms suivent étaient en service vers 1920 :
SS Biskra, Caravelle, Caucase, Charles Roux, Chicago, Chili, Cordillère, Danube, Dumbéa, El Kantara, Equateur, Espagne, Eugène Péreire, Figuig, Flandre, France, Haïti, Lamartine ex Kai-Dinh, La Bretagne, la Lorraine, la Navarre, La Savoie, La Touraine, Lafayette, Maréchal Bugeaud, Martinique, Mexique, Moïse, Niagara, Oregon, Oudjda, Pacifique, Patria, Paul Lecat, Pérou, Puerto Rico, Rochambeau, Saint-Raphaël, Timgad, Vénézuéla, Ville d'Oran, d'Alger, de Barcelone, de Bône, de Tunis...
French SS Rochambeau wikimedia commons Author American official photographer |
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