samedi 21 août 2021

PISSEVACHES / Saint-Pierre-la-Mer


Début des années 60, un vieux monsieur toujours alerte vient tous les après-midi. Il laisse l'épouse aux bavardages des femmes sous la véranda et part à Pissevaches sans souci d'un soleil d'été, trop direct. Sous la chemise, à l'habitude des gens d'ici, il porte toujours un tricot de corps blanc ; aux pieds, bien qu'ajourées, toujours des sandales, claires aussi, comme les chaussettes. Tout est net et quasi neuf mais ses cartilages usés le font marcher en canard : le genou gauche part sur le côté avant d'atterrir. L'allure, le pantalon de lin flottant au vent, le chapeau lui donnent un air de comique américain du temps du muet. Son dada, ce sont les coquillages laissés par la mer, surtout les escargots. Il ne nous vient pas à l'idée qu'il y va, comme Botticelli, pour une Vénus sortant du bain... 

Pendant qu'il court les laisses de mer, plus à l'intérieur, ils sont nombreux autour du canal antichar voulu par les Allemands, avec une épuisette ou au bouchon, à traquer les cranquettes (crabe vert ou enragé), les lisses, ces petits muges en bancs ou encore les jols (athérines) pour une friture de mélette. Le bord est ourlé de coques ouvertes par centaines : ces coquillages morts n'engagent pas au ramassage des vivants. Plus loin, dans l'étang encore en partie en eau grâce au grau intermittent que les coups de mer ouvrent parfois, certains piègent les petites soles sous le pied. 

Sinon, c'est l'étang qui piège ses aventuriers. Passage obligé pour qui, depuis les Cabanes vers Saint-Pierre, veut s'épargner le trajet par Fleury, il ne s'aborde pas à la légère. La route des campagnes, comme on l'appelle, celle où, avec Loulou, manière de faire une balade, nous partons compter les lapins surpris dans les phares, s'arrête en bas de Moyau, après les trois grands pins qui gardent les dernières vignes du piémont. Ensuite une piste ouverte par les plus aventureux descend entre sagnes et tamaris sur un sédiment perfide qui a la couleur du sable mouillé mais cache une vase noire plus que traître si elle n'a séché qu'en surface. Surtout ne pas s'écarter de la piste praticable... Un peu à l'écart, les traces de pneus embourbés qui ont patiné et dressé des hérissons de bois flotté pour se dépêtrer, doivent dissuader de couper pour un gain ridicule... 
Fin des années 60, je travaille le matin à Gaysart, un de ces charmants domaines tournés vers l'air marin, à mettre en bouteilles du gris de gris, depuis le lavage à la vapeur jusqu'au collage des étiquettes... Aller et retour par la piste de l'étang. A vouloir gagner une centaine de mètres, je me retrouve englué dans la vase, les roues du vélo immobilisées dans une gangue noire... Les émanations du vin sûrement... rien de tel qu'un nettoyage fastidieux ensuite, pour dégriser,, surtout que le lendemain il faut y retourner et qu'accessoirement il nous arrive des visites agréables, devant la tente, sous la véranda de carabènes (entre parenthèses, des roseaux coupés aux abords de l'étang, marquant la présence d'une des nombreuses résurgences, parfois appelées "caudiès" tempérant la salinité marine de Pissevaches). 
Première moitié des années 70, derniers séjours en camping dit "sauvage", autorisé encore aux Cabanes. Par les Terres Salées puis la chaussée de la Grande-Cosse, une autre piste rejoint celle de l'étang, ce qui fait peur à mon aîné "Non papa, on va s'embourrer !" parce que c'est arrivé une fois. Il y en a un qui sut en tirer profit, un voisin sallois qui, avec un gros GMC ou Dodge de la Guerre Mondiale, restait disponible pour, moyennant finances, treuiller les embourbés...  

Au volant de son Aronde, le vieux monsieur repart à Fleury avec Maria son épouse, avant sept heures nouvelles, avant que le soleil couchant n'aveugle les conducteurs. Nous la suivons sa voiture, dans la montée, avec les quelques unes qui font la chenille jusqu'en haut de la garrigue. La Barre de Périmont couvre déjà Saint-Pierre, la plage, les baraques de Pissevaches et en partie l'étang qui nous accompagne, de son ombre.  






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