Début
des années 60, un vieux monsieur toujours alerte vient tous les
après-midi. Il laisse l'épouse aux bavardages des femmes sous la véranda
et part à Pissevaches sans souci d'un soleil d'été, trop direct. Sous
la chemise, à l'habitude des gens d'ici, il porte toujours un tricot de
corps blanc ; aux pieds, bien qu'ajourées, toujours des sandales,
claires aussi, comme les chaussettes. Tout est net et quasi neuf mais
ses cartilages usés le font marcher en canard : le genou gauche part sur
le côté avant d'atterrir. L'allure, le pantalon de lin flottant au
vent, le chapeau lui donnent un air de comique américain du temps du
muet. Son dada, ce sont les coquillages laissés par la mer, surtout les
escargots. Il ne nous vient pas à l'idée qu'il y va, comme Botticelli,
pour une Vénus sortant du bain...
Pendant
qu'il court les laisses de mer, plus à l'intérieur, ils sont nombreux
autour du canal antichar voulu par les Allemands, avec une épuisette ou
au bouchon, à traquer les cranquettes (crabe vert ou enragé), les
lisses, ces petits muges en bancs ou encore les jols (athérines) pour
une friture de mélette. Le bord est ourlé de coques ouvertes par
centaines : ces coquillages morts n'engagent pas au ramassage des
vivants. Plus loin, dans l'étang encore en partie en eau grâce au grau
intermittent que les coups de mer ouvrent parfois, certains piègent les
petites soles sous le pied.
Sinon, c'est l'étang qui piège ses aventuriers.
Passage obligé pour qui, depuis les Cabanes vers Saint-Pierre, veut
s'épargner le trajet par Fleury, il ne s'aborde pas à la légère. La
route des campagnes, comme on l'appelle, celle où, avec Loulou, manière
de faire une balade, nous partons compter les lapins surpris dans les
phares, s'arrête en bas de Moyau, après les trois grands pins qui
gardent les dernières vignes du piémont. Ensuite une piste ouverte par
les plus aventureux descend entre sagnes et tamaris sur un sédiment
perfide qui a la couleur du sable mouillé mais cache une vase noire plus
que traître si elle n'a séché qu'en surface. Surtout ne pas s'écarter
de la piste praticable... Un peu à l'écart, les traces de pneus
embourbés qui ont patiné et dressé des hérissons de bois flotté pour se
dépêtrer, doivent dissuader de couper pour un gain ridicule...
Fin
des années 60, je travaille le matin à Gaysart, un de ces charmants
domaines tournés vers l'air marin, à mettre en bouteilles du gris de
gris, depuis le lavage à la vapeur jusqu'au collage des étiquettes...
Aller et retour par la piste de l'étang. A vouloir gagner une centaine
de mètres, je me retrouve englué dans la vase, les roues du vélo
immobilisées dans une gangue noire... Les émanations du vin sûrement...
rien de tel qu'un nettoyage fastidieux ensuite, pour dégriser,, surtout
que le lendemain il faut y retourner et qu'accessoirement il nous arrive
des visites agréables, devant la tente, sous la véranda de carabènes
(entre parenthèses, des roseaux coupés aux abords de l'étang, marquant
la présence d'une des nombreuses résurgences, parfois appelées "caudiès"
tempérant la salinité marine de Pissevaches).
Première
moitié des années 70, derniers séjours en camping dit "sauvage",
autorisé encore aux Cabanes. Par les Terres Salées puis la chaussée de
la Grande-Cosse, une autre piste rejoint celle de l'étang, ce qui fait
peur à mon aîné "Non papa, on va s'embourrer !" parce que c'est arrivé
une fois. Il y en a un qui sut en tirer profit, un voisin sallois qui,
avec un gros GMC ou Dodge de la Guerre Mondiale, restait disponible
pour, moyennant finances, treuiller les embourbés...
Au
volant de son Aronde, le vieux monsieur repart à Fleury avec Maria son
épouse, avant sept heures nouvelles, avant que le soleil couchant
n'aveugle les conducteurs. Nous la suivons sa voiture, dans la montée,
avec les quelques unes qui font la chenille jusqu'en haut de la
garrigue. La Barre de Périmont couvre déjà Saint-Pierre, la plage, les
baraques de Pissevaches et en partie l'étang qui nous accompagne, de son
ombre.
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