Le calendrier le veut : les 1 600 000 ans de présence humaine sur une
terre devant un jour s’appeler France (1), pèsent peu face aux 1800 ans
de « racines chrétiennes ». Le sapin, symbole récupéré de l’arbre
toujours vert et le solstice qui ne pouvait mieux tomber, continuent
pourtant d’exprimer, depuis le fond des âges, l’idée de fin et de
renaissance. Pour revenir au XXème siècle, avec le matérialisme
triomphant, c’est vers 1930 que le père Noël l’emporta, reléguant dans
l’oubli saint Martin, saint Nicolas, le Bonhomme Noël et le père
Fouettard. Nous devons la promotion de la barbe blanche et du bedon
rehaussé de rouge à une célèbre marque de soda et aussi à une non moins
célèbre firme de pneus de Clermont-Ferrand. Plus proche de nous, de
quand date cette dérive qui vint chambarder les retrouvailles
familiales, le partage intime, ce ferment du réveillon de Noël, en
libations égrillardes, comme si les fêtes de la nouvelle année n’y
suffisaient pas ? La bagnole y est pour beaucoup, c’est sûr !
Ne
chicanons pas plus avant. Afin de revivre un peu ce Noël d’antan, sans
bruit de moteur, pourquoi ne pas relire, par exemple, Les trois messes basses de
Daudet, pour les grelots des chevaux, la neige brillante sous la lune,
la cheminée qui flambe vers les étoiles qui scintillent, les cœurs en
paix, les tripes en joie, pour cette parenthèse de temps suspendu, de
sérénité, d’espérance.
Ce cheminement vers la fête au pays me trottait dans la tête, à n’en point douter, lorsque la page tournée dévoila «16. Sur le chemin de ronde des Alpes / Grenoble - Marseille
» (2), un itinéraire en train offert par Vincenot qui, enfant, croyait
sûrement au Père Janvier des petits Morvandiaux. L’auteur bourguignon
sut porter haut la noblesse de la langue (3), le respect dû aux valeurs
du terroir et un savoir vivre issu d’une expérimentation séculaire. Qui
plus est, son métier d’écrivain du rail concourt à tracer les liens
entre des provinces diverses pourtant unies dans un destin commun (4).
Avec le défi technique imposé par la géographie, Henri Vincenot sait
nous faire partager ses rencontres, avec Giono d’abord, en passant non
loin de Baumugne, avec Paul Arène, ensuite, en arrivant à Sisteron,
verrou de Provence.
Paul-Auguste Arène, monté à Paris, qui aurait aidé Daudet à écrire Les Lettres de mon moulin, auteur provençal pour Jean des figues mais inspiré aussi par ses jours dans la capitale. C’est le cas, notamment, dans ses Nouveaux contes de Noël (1891), avec "Le Noël du député".
Bien que loin des santons, de la volaille rôtie et des desserts de la
tradition, cette approche de la représentation nationale reste actuelle :
l’idée que la complicité électorale de profiteurs lambdas installât
pour plusieurs mandats des élus explique la présence méprisable de ces
professionnels de la politique, parfois en bande organisée sinon avec
l’épouse en femme de paille.
Allons, ne nous gâchons pas la
douceur émolliente, l’empathie fraternelle de Noël. Et le 24 décembre,
quand le cadet, allumant la bûche (5), récitera « A l’an que ven, se
sian pas mai, que sioguen pas mens » (A l’an qui vient, si nous ne
sommes pas plus, que nous ne soyons pas moins nombreux), formons nos
vœux pour la famille assemblée et oublions l’Assemblée Nationale jusqu’à
début janvier puisque ses seuls cadeaux sont des hausses d’impôts !
PS : à Moustiers-Sainte-Marie, Marcel Scipion, qui a écrit sur la Haute Provence : "Le Clos du Roi", "L'arbre du mensonge", "L'homme qui courait après les fleurs", "Mémoires d'un berger d'abeilles", nous a quittés ce 9 décembre 2013.
(1) galets aménagés de Lézignan-la-Cèbe (Hérault).
(2) Les voyages du professeur Lorgnon / La Vie du Rail n° 886 - 3 mars 1963.
(3)
Ma préférée : « L’alezane encensait au mitan de la sommière ». Dire que
son professeur de lettres, oublieux de l’histoire des mots, osa
prétendre que ce n’était pas du français !
(4) Un réseau en étoile
qui démontre aussi le centralisme excessif de la capitale et ses effets
pervers, par exemple lorsque la défense du pays envahi a nécessité des
trains de renforts et que ces convois ont engorgé Paris avant de
repartir, non sans retard, vers les fronts du Nord et de l’Est.
(5) Lo soc de Nadal, la souche de Noël devant tenir au moins une semaine sinon douze jours.
« LE NOËL DU DÉPUTÉ »
— Député? Toi ! Tu désires être député?
— C'est d'hier, pas plus loin, que l'ambition politique m'est venue;
c'est d'hier que cette idée m'est entrée dans la tête, se cognant aux
parois et bourdonnant avec la ténacité d'un hanneton qui veut percer
une vitre : « Eh ! mais, après tout, être député me semble agréable;
pourquoi, comme tant d'autres, ne me laisserais-je pas nommer député ? »
Non que le métier en soi me plaise outre mesure !
Aller au Palais-Bourbon à la même heure, tous les jours, entre une
double haie de badauds qui admirent, traverser la salle des Pas-Perdus
en se donnant des airs profonds sous l’œil des journalistes narquois
et, loin de la commission qui vous réclame, de la séance qui va s'ouvrir
et des solliciteurs départementaux dont la meute gronde à la porte,
faire l'école buissonnière à la buvette, séjour treillissé de bambous,
où l'on fume de ces excellents cigares à deux sous que confectionne la
Régie, exprès pour les législateurs et qui moins chers, sont aussi
savoureux que des londrès* aux champs, parcourant sa circonscription en
berlingot** de louage, voir le paysan qui travaille, se redresser sur le
ciel clair pour saluer de loin ou bien montrer le poing, selon qu'il est
ou bien n'est pas votre partisan et à Paris, dans les salons où de
délicieuses caillettes se décollètent pour parler politique, au sein
d'un tas de seins moins hypothétiques et plus friands que le fameux «
sein de cette Assemblée », être fêté, entouré, pressé et accaparer
effrontément les hommages réservés jusqu'à présent aux seuls pianistes
et poètes, voir cité dans les journaux, jusqu'à ce que son obscurité en
reluise, votre petit nom provincial à côté des noms les plus illustres :
tout ceci, certes, constitue de fort enviables privilèges.
Tout ceci pourtant ne m'eût point tenté, étant de la race des oiseaux
chanteurs qui préfèrent au tumulte des villes et au fracas des grandes
routes l'abri d'un buisson où resteront, sa branche une fois dépouillée,
quelques baies d'un bel écarlate qui, amollies par la gelée, aideront à
passer l'hiver.
Mais hier matin le député m'est apparu sous un aspect nouveau et au
prix de tous les ennuis je me condamnerai, Dieu me damne ! à légiférer
onze mois et demi durant pour le droit d'exercer une semaine ou deux des
fonctions à ce point aimables et patriarcales.
J'habite, comme tu sais de l'autre côté de la Seine , un quartier
paisible, affectionné des savants et des merles, où, entre de grands
hôtels portant sur marbre noir des noms héraldiques dans un cartouche,
sa dresse de loin en loin, par-dessus des murs de jardins, un vieil
arbre contemporain de Louis XlV et de Versailles. Les rares boutiques
qu'on y voit gardent l'air honnête des boutiques de jadis. Peu de
voitures s'y égarent et s'il en passe une parfois, le cocher intimidé
par la majesté de ces arbres et le silence de ces maisons closes
ralentit le pas et donne à sa guimbarde des allures de carrosse de cour,
Le Corps législatif n'est pas bien loin et quelques députés —il y en a
! — qui n'ont pas voulu se laisser prendre par le Maëlstrom, dont le
formidable entonnoir se creuse et tourbillonne autour de la Bourse , non
plus qu'être initiés à cinquante ans aux splendeurs de la haute vie,
quelques députés se sont cantonnés là, modestes dans un petit cercle
d'habitudes, logeant en maison meublée, dînant à table d'hôte, et le
soir, comme des étudiants vieillis qui auraient neuf cents francs de
pension par mois, se livrant à des orgies de lecture et de dominos dans
des cafés où les garçons familiers et respectueux offrent au
consommateur la Revue.
Donc hier, près de chez moi, je rencontre un de ces députés, non plus
grave et le front obscurci de tous les soucis du pouvoir, n'ayant plus
sous le bras l'indévissable portefeuille bourré de rapports et de plans :
maisons d'école ou ponts à construire, chemins vicinaux à rectifier,
églises romaines qu'il faudrait recouvrir de tuiles mais fringant,
joyeux, guilleret, avec une douzaine de minuscules cartons noués de
faveurs bleues et rosés.
Il m'aperçoit, je le salue.
— Le temps de déposer ceci à I'hôtel, me dit-il, et, si vous n'avez rien de mieux à faire, je vous emporte dans un fiacre.
— Pour aller ?...
— Eh parbleu, pour aller acheter d'autres cartons ! J'ai peu l'habitude des magasins ; vous, Parisien, m'aiderez à choisir.
Une fois dans le fiacre, mon député me confia que, les crédits étant
votés, il avait résolu, comme tout les ans, d'avancer son départ de
quelques jours sans attendre les vacances réglementaires.
— « La Chambre s'arrangera ! Dès ce soir je quitte Paris... Voici la
Noël qui arrive et je ne peux pas faire autrement que d'être là-bas pour
la Noël. Voyez plutôt... »
II avait tiré une lettre, il me la lisait :
Monsieur le député,
Nous vous écrivons la présente à seule fin de vous occasionner un
tout petit dérangement. En venant passer les vacances à Canteperdrix, il
faut que vous ayez l'obligeance de nous apporter une petite lanterne
magique, dans les prix doux et dont vous trouverez ci-inclus le montant
en timbres-poste. On ne fabrique bien les lanternes magiques qu'à Paris,
et nous avons promis la surprise, pour son Noël, à notre petit Marius
qui se souvient toujours de vous et qui compte sur votre protection,
monsieur le député, pour dans quinze ans d'ici, quand il se présentera à
Saint-Cyr...
— « Comment refuser ce service à de braves gens qui s'imaginent que
je les représenterai encore dans quinze ans?... Et cette lettre n'est
pas la seule ; voici par ordre alphabétique la série des commissions
dont on me charge ! » continua mon député en déroulant une liste plus
longue que celle des maîtresses de Don Juan. Entre temps, arrêtant le
fiacre à la porte d'un bazar ou d'une confiserie, nous entassions sur
nos genoux et sur la banquette les cornets de bonbons à bon marché,
frises en papier d'argent ou d'or et décorés de naïves
chromolithographies, les pastillages à la mode d'autrefois où le sucre
fondu, filé, pétri et coloré par des mains habiles, devient un beau
paysage en relief au milieu duquel se promènent des personnages revêtus
d'habits gommés sans compter les polichinelles et les poupons, les
chiens qui aboient, les agneaux qui bêlent, les ânes qui braient, les
vaches qui beuglent, les trompettes et les tambours, les sabres de bois,
les pistolets de paille, les soldats de plomb poissant aux doigts et
coloriés de couleurs barbares, les lions en poil de lapin, et les lapins
batteurs de caisse à qui deux clous, en guise d'yeux, donnent un aspect
diabolique.
Tout en maugréant, tout en soupirant, mon député nageait dans la joie :
— « Fichu métier ! s'écria-t-il, mais voilà de quoi me faire pardonner
bien des bureaux de tabac que je n'ai pas obtenus malgré mes stations
dans les ministères. »
Et moi, s'il faut que je l'avoue, le cœur mordu par une basse envie, j'étais jaloux de la joie de mon député.
Je me disais : d'ici à quatre jours, au fond de nos petits villages
montagnards que décembre aura saupoudrés de neige, dans la rue blanche
qu'égayera, reflet rouge à travers les vitres, la flamme des cheminées
et des fourneaux, les enfants attendront le député promis, et dépassant
la dernière maison, ils iront sur le chemin, jusque dans les champs,
pour voir s'il arrive. Et la nuit du grand repas, au dessert, quand,
arrosée d'un vin de cent ans, flambera sur les landiers de fer la bûche
calendale, quand la clairette éclatera, bouchons en l'air, inondant la
nappe de mousse, et qu'on apportera les cadeaux entre les trois
lumières allumées et les trois assiettes de terre brune où le blé
commence à verdir, alors les enfants le béniront, ce député, et ils se
le figureront dans un rayon de gloire, avec une barbe blanche, des
sabots, une limousine reluisant de givre, les mains pleines, souriant
et emmitouflé comme le bonhomme Noël des contes...
Mais au fait, conclut mon ami, voilà qui ferait un crâne costume,
bien autrement significatif et pittoresque que le triste habit noir
d'aujourd'hui ou que les manteaux de croque-morts dessinés jadis par
David pour les Directeurs, les Représentants du peuple et les
Cinq-Cents ! C'est une idée. Je compte en parlera la tribune si on me
nomme, et proposer que nos députés se montrent ainsi vêtus dans leurs
provinces au moins une fois l'an, quand oubliant la politique, ils
deviennent —comme l'excellent homme dont je viens de te raconter
l'histoire— députés des enfants, à l'époque des fêtes d'hiver.
* cigare havanais d'abord fabriqué pour Londres et l'Angleterre.
** demi-berline avec seulement la banquette du fond.
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