lundi 23 novembre 2020

FLEURY-D'AUDE, le 13 novembre 1997 / la saint-Martin au village

Décidément novembre est le mois des morts. Ne m’accablez pas, je ne suis pas le croque-mort de service, d'ailleurs la grosse enveloppe partie à mon intention le 19 novembre parlant aussi de châtaignes et de rugby, recèle des pièces jointes plus souriantes...

 

« Fleury-d’Aude, le 13 novembre 1997.

Le 11 tu as appelé sinon je l’aurais fait pour t’annoncer la triste nouvelle. Ton cousin avait appelé plus tôt pour me dire «Ce matin, maman ne s’est pas réveillée.» Et la veille elle avait dit «Albanie a eu de la chance de mourir dans son sommeil.»Ma sœur nous a quittés trente ans après notre père et au même âge... Coïncidences troublantes.../...

18 h 15. Malgré une hémorragie à l’œil gauche qui m’a valu d’aller aux urgences, (il y en a pour trois ou quatre mois et il n’est pas sûr que mon œil «revienne»), nous sommes allés faire du bois à la mer, il y en a encore beaucoup sur la plage et en moins d’une heure le coffre était plein et le bois scié. 


 

Nous avons mangé plusieurs fois des châtaignes. Comme nous n’avons plus de «padena castanhièra (en orthographe savante), nous les avons mangées bouillies. Suivant les conseils de tante Adeline de Pézenas (la mère d’Etienne) qui nous avait raconté comment, dans sa jeunesse, on préparait «lous castagnous» (graphie savante «castanhons») sur des claies alignées le long des murs d’un cabanon spécial au centre duquel se faisait le feu, avec du bois sélectionné à cet effet ; suivant ses conseils donc, je partageais d’abord la châtaigne bouillie en deux, ce qui évite, si elle est mauvaise, de l’éplucher !

Avant-hier, à la sépulture, ton cousin Jacky a pu venir. Son pied droit est encore bandé, mais la chair remonte et il n’aura pas besoin d’une greffe. Ses brûlures, un peu partout, ont été causées par la ligne électrique tombée sur le fourgon. Il a bien failli être électrocuté dans cet accident et le fait d’avoir été éjecté de l’habitacle (il n’avait pas mis sa ceinture) l’a sans doute sauvé puisque volant et tableau de bord touchaient le siège après cette terrible collision !

Je vais manger mais je reviendrai vers toi pour d’autres nouvelles à t’annoncer. Tiens par exemple : Verdun que tu dois connaître et qui habitait à Saint-Pierre en face du toboggan heureusement démonté cette année, a vendu sa maison de la mer pour acheter à Fleury celle de Georges Bonnet récemment décédé.

Samedi 15 novembre. Magnifique journée d’automne. Le vent est absent, les feuilles prennent leurs tons mordorés ; le tapis de celles qui sont tombées attend sous la rosée du matin un balai qui ne viendra pas. Et notre soleil du midi darde ses rayons sur nos vignes aux coloris divers et un village à la fois lourd de son passé et tourné vers l’avenir.../

... Les jours de «fête» (comme ce nom sonne !) ont été bien tristes, comme tu peux l’imaginer. Les forains ont eu tout de même du monde le jour du 11, le concert traditionnel a été remplacé par un récital de chansons dont je n’ai eu aucun écho. Bien entendu, je ne suis allé nulle part. La mort rôdait dans nos parages, et elle exige un calme respect.

17 h 30. le coffre plein de bois nous sommes revenus après la fin de la première mi-temps du match contre les Springbocks. De 19 à 15, le score était passé à 29-15 : une étrillée. Mais le sursaut malheureusement tardif de l’équipe de France a donné 36 à 32. Si les transformations eussent été réussies, c’était 36-36. L’adversaire était redoutable !

Mardi 18 novembre : temps gris : nous en avons profité pour aller nous faire vacciner contre la grippe.
La place du ramonétage s’est complètement vidée hier.

 

PJ : photocopie «Lou Doublidaïre».
Labours à l’ancienne à Montolieu.
Union entre Narbonne et Béziers, les sœurs ennemies (Le Figaro économie du 13 XI 1997).
Narbonne : le bric à brac du patrimoine.» (Le Figaro du 30 X 1997).
 

Lou doublidaïre : Jean Camp de Salles-d'Aude (l'intégralité du poème est disponible)

 
Midi Libre, dimanche 16 novembre 1997, 24 HEURES EN REGION, Labours à l'ancienne à Montolieu. 
 
PS : pour plus de détails sur les pièces jointes citées, il suffit de demander...

dimanche 22 novembre 2020

LA SAINT-MARTIN 1996 / Fleury-d'Aude en Languedoc


Ah la jeunesse ! Elle ne réalise pas combien les sépultures pèsent dans la chronique des jours qui passent. Puis, au fur et à mesure qu’elle mûrit, surit et s’approche de la sienne, la liste de ses morts s’étoffe. Avec la fête du village pour la saint-Martin, en novembre, ça fait un peu Toussaint sauf que le départ d’un jeune n’entre pas dans le cadre d’une normalité. L’évoquer, près d’un quart de siècle plus tard, ce n’est pas raviver le malheur de ceux qui le portent à jamais, c’est seulement préserver la petite flamme de la vie pour l’aimer plus encore quand bien même cela nous pousserait à trop de réalisme sur ce qui nous attend. On n’est vraiment mort que lorsqu’il ne reste plus la moindre petite pensée d’un vivant à notre égard.  

Oh les jeunes ! Il faut lire en diagonale ! Passez légers sur les chroniques nécrologiques ! Surtout que nos petits grandissent bien... Il faut un temps pour tout... Soyez heureux tant que le destin le veut bien car tout peut changer et vite... Mais ce n'est pas une raison pour n'être que des conso-pollueurs... et puis soyez pas courges en donnant dans ces fêtes de la citrouille plus symboliques du "markettinge" des hypers qu'emblématiques du potager et qui plus est en opposition avec, le jour d'après, le recueillement de la Toussaint...   

 

Coucher de soleil automnal / Fleury / 2018

«Fleury-d’Aude, le 11 novembre 1996

 

Bien cher fils, je commence ce soir cette cinquième lettre de ta troisième année si loin de nous alors que la fête locale de la saint-Martin, qui a vu beaucoup de monde cet après-midi sur la place du Ramonétage, a déjà éteint toutes ses lumières depuis au moins une heure, et il n’est pourtant que 23 h. Seul le bal doit encore drainer quelques couples à la Salle des Fêtes (1). La cérémonie traditionnelle a eu lieu au monument aux morts, avec dépôt de gerbe, allocution du maire, deux remises de décorations, Marseillaise quelque peu «nonchalante» interprétée par quelques éléments de l’orchestre du bal, et elle a été suivie par le «pot de l’amitié» non moins traditionnel.

Comme je revenais, j’ai pensé aller voir, sur l’avis de décès du malheureux Sébastien Chavardès, 25 ans, qui était dans le coma depuis son accident de la route de Saint-Pierre, à la hauteur du chemin de Tarailhan, l’heure des obsèques. Pierre Bilbe a monté les marches après moi et il me dit «Je viens de la maison pour signer mais rien encore alors je m’approche du monument, la cérémonie ne va pas tarder puisqu’il est midi moins cinq.» Je lui ai répondu que c’était déjà terminé et que nous avions même bu l’apéritif. Il en est tombé des nues tant il était attrapé. Il est vrai qu’ils étaient en avance sur l’horaire, sans doute à cause de Mr le Curé qui célèbre des messes plus courtes en général que de coutume.../...

L’été de la Saint-Martin n’a pas failli à la tradition, nous avons pu faire nos promenades habituelles ; maman a trouvé quelques lactaires délicieux dans la forêt de Bouïsset.../

... Jeudi 14 novembre 1996.

Mardi à 15 heures avaient lieu les obsèques du jeune Sébastien Chavardès, et c’est une foule énorme qui l’a accompagné à sa dernière demeure. L’église St-Martin s’est révélée beaucoup trop petite et nombreux sont ceux qui ont attendu la fin de l’office des morts sur le parvis et dans la rue. Le cortège funéraire fut plus impressionnant encore puisque le corbillard était pratiquement devant le cimetière alors que les derniers s’engageaient à peine dans l’avenue de Saint-Pierre. La famille trop éprouvée n’a pu remercier. Le pauvre Georges ainsi que sa femme Marcelle restent sous le choc. J’arrête ici cette évocation pénible.

Ce matin en revenant de Narbonne nous avons fait le plein... d’eau de Vinassan, derrière la Coopé. Nous étions les seuls, ce qui est plutôt rare mais il faut dire qu’il était plus de midi et que l’heure invitait plus au repas qu’à la source.

Cet après-midi le temps s’est soudain rafraîchi ; les champignons ne pousseront plus. Bien qu’il ne fasse pas trop froid encore, une flambée vespérale est la bienvenue et j’ai commencé ce soir à brûler quelques bûches dans le poêle (on a eu écrit «poële» avec un tréma, notamment quand j’étais à l’école de Fleury avec M. Teisseire, bien que ce fût déjà la graphie avec accent circonflexe qui l’emportât. Je t’écris du bureau où je me suis installé pour profiter de cette petite chaleur...»

 

Correspondance François Dedieu novembre 1996.

 

Sébastien, Pedro (2), papa, monsieur Teisseire, Aimé de son prénom je crois... 24 ans après, lire vos noms, les écrire... c’est la petite pensée qui quelque part vous garde encore vivants...

 

(1) Le 11 novembre tombait un lundi cette année-là avec une reprise brutale le lendemain pour les festéjaïres des villages fêtant la saint-Martin. (JFD)

(2) Ne trouvant pas Pierre Bilbe, j’ai trouvé «Pedro» sur https://deces.politologue.com/ un site qui intéressera peut-être certains même si d’autres moyens plus officiels donnent une chronologie des personnes décédées.