mardi 7 octobre 2025

LAMY I et II, chevaux de trait (suite de Coquet)

 « Fleury-d'Aude, le 12 février 1998 (suite 1)

Assis sur un petit pliant, il ne se lassait pas, l'aidant même, en sifflant doucement, à soulager sa vessie. L'oncle Pierre était déjà malade de cette « longue maladie » qui devait l'emporter en septembre 1936 ; il avait dû renoncer à tout travail pénible. La contemplation du nouveau cheval lui faisait moins regretter le départ de COQUET et adoucissait moralement ses derniers mois de vie. 

Lors du carnaval des écoles 2025. 

Il avait fallu changer tout le harnachement : les colliers étaient trop petits pour cette force de la nature, et Pierre MARTY, le bourrelier qui avait son atelier (“ L'Agence Havas ” pour les mauvaises langues à la maison actuelle de Valls (1), eut du travail. C'est ce Lamy à la robe alezane que je ne devais plus revoir (2) et dont je parle page 10 de ma chronique d'exil. On le prit pour la boucherie et je crois que c'est Pélissier qui le débita, mais papé Jean, pourtant amateur de viande, surtout à une époque où elle était si rare, refusa absolument d'en goûter une seule bouchée, tu comprends aisément pourquoi. 
Entre-temps était arrivée la libération, avec ses joies et aussi ses malheureux et inévitables excès, et il fallait penser à l'achat d'un nouveau cheval. sans argent, avec des vignes non travaillées (zone interdite et minée !), c'était là un difficile pari. Mamé Ernestine fut chargée de demander un peu d'argent au richissime oncle Gérard de Narbonne, enrichi par les deux guerres. Elle devait essuyer un refus aussi poli que définitif. Ce fut alors son ami Emmanuel Sanchon qui sortit papé Jean d'embarras, et cela mes parents ne l'ont jamais oublié. 
Extrait de la lettre de ma mère du 26 juillet 1945, renvoyée de Prague par la valise diplomatique. Elle était partie de Fleury le 27, alors que je me trouvais déjà à Paris : 

« C'est la 4e lettre que l'on t'envoie. Sur ta carte tu nous dit que tu vas être nu-pieds. Vous auriez dû demander des souliers puisqu'on vous fait travailler. Vous devez bien vous entendre avec Py. Donne-lui le bonjour de nous tous ainsi qu'à la famille Burket. Si c'est cette dame qui te lave, vous devez bien vous comprendre. Francis (frère de Mme Comparetti / Note FD » nous avait dit « François connaît toutes les langues : le tchèque, le russe, il s'en sort très bien ». Papa a dû te dire sur sa lettre qu'il était allé en Bretagne avec l'oncle Noé. Ils étaient huit pour le wagon. Ils sont allés acheter un cheval, il a cinq ans, il est sage, il ressemble à Lamy. Ils y sont restés un mois. Ils sont allés à Brest. Ce n'est que des ruines. Ils ont fait un beau voyage. » 

“ Lami ”, un jour de vendanges, route de la mer, début des années soixante (on voit derrière la crête dévastée de La Cresse, suite à l'incendie qui a atteint la station balnéaire de Saint-Pierre-la-Mer. 

C'est au cours de ce voyage historique que l'oncle Noé avait attrapé sa fameuse sciatique, et que Vila (le père de Jeanne Sala), qui faisait partie du groupe avec également, entre autres, Rey et Blaise Vicente, lui avait confectionné (il était menuisier de métier) une paire de béquilles afin qu'il puisse se déplacer un peu pour aller voir les chevaux et acheter le sien (sinon il aurait fait ce voyage pour rien !) Voilà pourquoi, en début de lettre, je lis « Nous sommes très contents que tu sois en bonne santé. Pour nous il en est de même, nous allons tous bien, sauf l'oncle Noé qui souffre toujours de sa sciatique. Il marche avec deux cannes, et au début il avait des béquilles. IL reste 3 ou 4 jours qu'il marche bien, puis ça le reprend. C'est ennuyeux, pour les vendanges il ne sera peut-être pas guéri. Heureusement que toi tu seras ici. Norbert n'a encore rien reçu, aucun de la 44 n'est parti. » (à suivre)

(1) cette maison ainsi que d'autres de même que les appentis entre les contreforts de notre église (abri pour vagabonds, réserve pour feu d'artifice, pissotière...) furent démolis afin d'ouvrir l'ancienne place du village et libérer l'esthétique du chœur (les maisons attenantes au couchant sont maintenues. 

(2) très amaigri par le manque de nourriture dû aux restrictions de la Deuxième Guerre Mondiale, maintenu debout par un travail, ce pauvre cheval avait retrouvé un vaillant appétit mais trop tard... Ce n'est pas dit mais je suppute qu'il a été abattu pour prévenir sa fin naturelle...   


lundi 6 octobre 2025

L'occupation et Coquet le vaillant Mérens

« Fleury-d'Aude, le 12 février 1998

Bien cher Jean-François, nous sommes gâtés ces jours-ci par la lecture de tes lettres, la cinquième nous est arrivée hier, elle a mis sept jours, les autres en quatre, six et huit jours. 

Tu t'interroges, tu m'interroges sur la situation au village durant l'occupation. reçois ces quelques éléments de ma part : 

Les hommes valides étaient requis par les Allemands et allaient par équipes de deux ou plus, faire des trous dans la garrigue, notamment au dessus de Saint-Pierre ; ces trous étaient destinés à recevoir un habillage de béton propre à en faire un abri pour un soldat armé. Plus important, le trou se transformait au bout de longues semaines (chacun travaillait le moins possible, juste ce qu'il fallait pour ne pas se faire expulser de Fleury vers l'intérieur des terres) en “ bunker ” équipé d'un canon tournant ou une grosse pièce tournée vers la mer (les Allemands craignaient toujours un débarquement allié, surtout après celui d'Afrique du Nord et suite à la libération de la Sicile en 1943 puis de la Corse. Plus récemment, ces bunkers ont été aménagés pour la gendarmerie et la Poste (club du Temps Libre actuel). celui de Périmont a été détruit mais le système défensif subsiste sur le rocher avec des galeries de jonction aujourd'hui sous le sable. Des tunnels importants furent même creusés à la dynamite, avec chambres carrelées et tapissées pour les officiers, et eau courante (on peut encore voir le bassin d'alimentation d'où partait la tuyauterie, et l'un de ces tunnels, tu t'en souviens peut-être, avait servi de champignonnière à Daudel, l'ancien épicier que nous avions derrière la baraque de Paule où nous avons passé l'été 1956. 

Le spécialiste des fricots dont le nom t'échappe est René Tailhan, marié à Rosette Cazals, la fille du maréchal-ferrant, cousine d'Hubert Malhabiau, qui devait tristement finir par se pendre... 

Ah ! « l'affaire Tournaraslèou » (= tu reviendras bientôt) ; l'oncle Noé croyait qu'en demandant on pourrait me rapatrier : cela avait marché pour certains autres (Molveau en avait bénéficié à condition de se retrouver requis sur place ; Antoine Mulet des Cabanes était aussi revenu de Hambourg parce que malade « Sé besios coumo es magré » m'écrivait-on de Fleury sur sa maigreur (notre languedocien qui m'avait déjà pratiquement sauvé la vie en septembre 43, agrémentait allusivement notre correspondance). 

Tarascon-sur-Ariège Mérens 2025 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Author Tylwyth Eldar

Vendanges 1934. Ce doit être Coquet. 

Tu demandes aussi pour nos chevaux : le petit et vaillant cheval noir répondait au nom de « Coquet ». C'était un Mérens, petit cheval d'Ariège (le GDEL parle même de race française de poney !), vaillant comme pas un. Un jour, racontait mon père, il avait fait quatre gros voyages de comportes (sans doute plus de douze à chaque fois !) de la Pointe de Vignard, notre vigne la plus éloignée à presque cinq kilomètres, soit 38 kilomètres dont 19 à pleine charge, avec les côtes de Liesse et du village. Il a tenu le coup mais en arrivant le soir, trop fatigué, il s'est couché au lieu de manger. papé Jean racontait cela avec une admiration non dissimulée. J'ai connu ce cheval à l'écurie jusqu'en 1935 à peu près. Nous l'avons sur des photos de vendanges... Puis il avait fait son temps, il fallut bien le changer. L'oncle Pierre et son neveu (mon père) allèrent à Narbonne choisir un cheval chez le maquignon. Ce fut notre premier Lamy. L'oncle était si content d'avoir si bien choisi (papé le respectait beaucoup et écoutait ses conseils, lui quelquefois si entêté par ailleurs) qu'il allait l'admirer des heures à l'écurie... (à suivre)