dimanche 18 juin 2023

SÈTE 6. Les paquebots de l'exil.

Voyez les mouettes qui font cortège aux bateaux rentrant au port : toujours un plaisir pour qui a l’occasion de flâner et rêver dans un cadre pareil. En 1967, la criée de Sète, devenue depuis la première de Méditerranée, est la première d'Europe à être informatisée. Du poisson ! des poufres (1) ! le nom local et au moins languedocien du poulpe... Est-il baladé lui aussi, lors des festivités, en tant qu’animal totémique tant les événements susceptibles de servir la ville ne manquent pas ?

Bateaux qui rentrent au port, navires qui partent, ne laissant qu’un éphémère sillage sur l’eau, opaque sur les drames et la catastrophe annoncée induits par l’anthropocène, l'âge des Hommes se voulant à tort, maîtres de la nature...

« ... pasar haciendo caminos, [passer en faisant des chemins,]
caminos sobre el mar… » [des chemins sur la mer.]

Antonio Machado (1875-1939). 

Gracias_México_-_Monumento_a_los_exiliados_españoles_en_México_en_Veracruz 2009 En 1939 arribó a este puerto de Veracruz, procedente de Séte,  Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic Author David Cabrera

Sète est avant et plus que tout un port ! Le 23 mai 1939, suite à la Retirada, l’exode des Républicains espagnols et à l’invitation aussi unique que généreuse du Président Lazaro Cardenas (1895-1970), attestant par là-même le penchant dangereux vers la droite sinon la droite extrême de l’Occident, le paquebot Sinaïa (1924), aménagé pour 1600 places au lieu des 600 à l’origine, appareilla de Sète pour Veracruz au Mexique. (Un ou deux autres navires aussi... merci de m’en tenir informé si vous en savez davantage).  

Le 11 juillet 1947, avec 4815 personnes à bord, dont nombre de rescapés des camps de la mort nazis, qui n’ont plus ni famille ni biens en Europe et qui ne veulent plus que rejoindre Israël, au petit matin, le paquebot Pt-Warfield quitte subrepticement Sète de peur d’y rester bloqué. Hors des limites territoriales, alors qu’il était censé partir pour la Colombie (un mensonge), il arbore le drapeau d’Israël, change de nom « Exodus  1947 » (en français, dans sa forme abrégée), ne répond pas aux Anglais qui le suivent et finalement, de peur des réactions des Palestiniens, l’arraisonnent afin d’empêcher le débarquement à Haïfa. De là, 4493 réfugiés sont emmenés en bateaux-prisons à Chypre puis via Port-de-Bouc (où aucun réfugié n’acceptera de descendre), Gibraltar, et malgré une vague de réprobation générale concernant des Juifs encore maudits (les crimes ne rebutent pas si la raison d’État est en balance...) , à Hambourg pour être acheminés dans des camps de la zone d’occupation britannique. Mai 1948 : le mandat anglais sur la Palestine prend fin et tous les réfugiés peuvent rallier Israël. 

Exodus 1947 ship in Haïfa Source British Admiralty Public Domain Author JGHowes

La vue paisible et que nous estimons normale des porte-conteneurs (de 6500 à 200.000 EVP entre 2010 et 2019 !)  ou des ferrys pour le Maroc ne doit pas faire oublier les violences passées, les bombardements puis les conséquences des conflits lorsque des gens qui pourraient être tout le monde voient leur destin bouleversé du tout au tout, forcés ou résolus, invités ou s'imposant dans le dessein de se trouver un coin de Terre. 

(1) « Antoueno, lou moueno, lou poufre salat, quand l’ase cagabo parabo lou plat ! » Mon pays, Émilien de la Pagèze (bien que marié à une Narbonnaise) a une explication concernant cette ritournelle a priori surréaliste : « lou poufre salat », le poulpe salé, surnom du moine Antoine, radin, qui n’attend pas que le crottin soit à terre pour vite le récupérer (excellent pour les plantations !)

vendredi 16 juin 2023

SÈTE 5. Thon et pognon !

Un reportage peut-être à la télé régionale : deux frères, armateurs-thoniers, se confient visiblement sûrs d'une logique économique se suffisant à elle-même ; ils sont dans la quarantaine ; un investissement sur vingt ans reste raisonnable, à deux qui plus est ; ils font construire un bateau moderne, plus cher mais fabriqué en Roussillon, plus léger mais plus solide, économique en carburant et ça compte quand la puissance développée atteint les mille chevaux. Ce serait presque hors sujet de poser une question sur la ressource, sur l'activité durable... Que s’est-il passé ? 

Le thonier-senneur Saint_Antoine_Marie  GNU Free Documentation License. Auteur Jean-Pierre Bazard On peut voir les bras articulés qui permettent de lever et de manœuvrer la senne (le filet de pêche) pour la retirer et à droite l'annexe qui se met à l'eau pour encercler et prendre les thons. 

Vingt ans en arrière, pourtant, la race des thons qui viennent se reproduire en Méditerranée, se perdait ; pour une fois, les scientifiques ont été plus qu’écoutés puisqu’il s’en est suivi une interdiction ; c’est dire si la situation était désespérée... À un moment donné, seules les mesures radicales, coercitives sont susceptibles d’être suivies d’effets... Je me souviens d’un reportage à Marseille, un mec (j’assume une condescendance allant au delà, vous allez comprendre !) au micro, vulgaire, volubile mais dans l’indécence sordide, contre l’interdiction, parce que lui, un de la famille sinon un allié avait misé des millions vu que ça devait rapporter, qu’il n’en avait rien à foutre de la réglementation. Un témoignage outrancier à garder en mémoire, donnant une piètre et fausse image des Pieds-Noirs auprès de ceux qui ont une vision simpliste, lapidaire, arrêtée sur les gens et l’Histoire. On reste stupéfait de la véhémence affichée au seul motif d’un gros investissement avec pour seul souci un retour bénéficiaire et la légitimité d’être un riche qui risque et à qui la piétaille, avec pour seul droit celui de la fermer, devrait tout ! Que sont devenues ses mises de fond en quinze ans ? Ce qui est sûr est que nous ne pouvons pas compter sur un changement de mentalité de la part d’un tel individu. N’attendons pas sagesse, humanité, solidarité de la part de tels prédateurs économiques, forts, de par leur pouvoir financier, de tenir les politiques en main. Aujourd’hui, en effet, comme quoi la nature est bonne fille, en dépit des quotas (89 % pour la Méditerranée, 10 % pour l’Atlantique, 1 % à la pêche de loisir... pas contente de n’avoir que si peu de bagues), le thon rouge de Méditerranée est de retour, ses effectifs se renforcent... Quasiment un miracle tant le pessimisme, malheureusement lié à la façon de traiter la Planète par ce foutu système libéral délétère à force d’excès, régnait et règne encore. Était-ce parce que ce monde d’armateurs pesait moins que d’autres corporatismes ? Considérez dans l’affaire actuelle des « méga bassines » (qui plus est financées à 70 % par l’argent public !) voulant légaliser le vol par une minorité de la ressource phréatique, comme l’État, actuellement, préfère se mettre à dos toute la population plutôt que ces agro-industriels ne méritant plus d’être appelés agriculteurs dans notre monde de paysans éradiqués ! Avec Macron, histoire d’avancer (un mot répété plusieurs fois hier, 19 avril 2023, malgré les casseroles des opposants, lors de sa sortie en Alsace), la nature aurait-elle eu l’opportunité de nous rendre une manne de magnifiques poissons ? Comme disait l’autre, on a les gouvernants qu’on mérite et apparemment les thons qu’on ne mérite pas... (à suivre) 

Bluefin-tuna-catches-fr source  ICCAT web site domaine public. Intéressante évaluation des prises illégales (environ 66 % des quotas légaux et rien ne dit que cela ne perdure pas...