mercredi 3 mai 2023

LA VILLA LAURENS

Quand il n’y en a plus, il y en a encore comme disait l’autre !

Lorsque le train quitte la gare, la vue s’ouvre d’un coup sur un canal qu’on croit du Midi. Ensuite, avant l’Hérault et le déversoir d’eau étincelante presque irréelle sous le soleil méditerranéen, là, sous les voies, dans un cadre verdoyant, apparaît un bâtiment remarquable par sa taille. Le quant à soi du voyageur ne s’embarrassant pas de la réalité qui lui échappe pense à un centre de gestion du canal, à des bureaux de techniciens. Ce n’est que récemment, seulement au bout de longs travaux de réhabilitation, comme si on ne voulait dévoiler qu’un projet une fois achevé que ceux qui savaient ont bien voulu le dire.

La villa Laurens, il est vrai affublée du logo « château » sur la carte IGN, rappelant les maisons des esclavagistes d’" Autant en emporte le vent ", a été construite à partir de 1898 par un riche héritier collectionneur, Emmanuel Laurens (1873-1959). Art nouveau, néo-grec, égyptomania, orientalisme, autant de courants modernes et seulement ouverts à qui dispose de la richesse permettant de décréter, d’encourager le beau, de le confisquer aussi, aux yeux de tout le monde... de ce point de vue, le destin de Vincent van Gogh, souvent, m'interpelle. 

Le père n’est qu’ingénieur mais l’héritage d’un baron, cousin de loin, tombe. Sur ce coin appelé « Belle Isle », va s’édifier cette villa où les dépenses fastueuses en architecture, en décors de peintures, en faïences, vitraux, meubles, expriment un art de vivre réservé aux richards : voyages exotiques, collections rares, rencontres d’artistes, mondanités de caste, soirées.

Bien que propriétaire d’une villa du même genre à Boulouris sur la Côte d’Azur, Laurens en arrive à vendre son château d’Agde en viager. Souillée par des gravures et dessins dus à l’occupant teuton, la villa tombe à l’abandon. On ne sait pas ce qu’est devenu le bénéficiaire du viager. 

Agde Hérault River Agde under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. auteur Christian ferrer 2013

En 1994, la ville rachète la villa, le château Laurens. Après 11 millions mis dans la restauration, elle devrait ouvrir au public en ce moment (avril 2023).

Providence, adversité... au moins l’échéance de la mort nous met-elle à égalité... tant que les riches, si on les laisse faire, ne trouvent pas le moyen de durer sur notre dos...  

(merci à Annie qui m'a mis sur la voie)

mardi 2 mai 2023

MANDIRAC (Narbonne) Avril 2023.

Mandirac c’est un joli petit coin sur le Canal de la Robine, cet ancien bras de l’Aude marquant le delta patiemment gagné sur les éléments liquides et qui a ancré la Montagne de la Clape au continent. Un air pas usurpé de petite Camargue non loin du Roc de Conilhac qui, du haut de ses vingt-un mètres s’avère être un point de passage important pour les oiseaux migrateurs. Le chantier a déjà restauré une péniche qui transportait du vin, « Les Deux Frères », qui gagnait toutes ses régates sur l’Étang de Bages. Soit mais que vient faire la proximité de Narbonne et Gruissan avec Agde et les bateaux ?

Canal de la Robine 2000 Domaine public Author Wolfgang Bauer

À Mandirac (entre nous, s’ils précisaient par rapport à l’écluse, au Petit ou au Grand Mandirac, ce ne serait pas plus mal ! de même qu’il n’y a pas une seule photo disponible sur wikimedia commons pourtant pas avare), il existe un type d’établissement exceptionnel, à savoir un chantier exemplaire d’insertion de charpenterie maritime, chapeauté par le Parc Naturel Régional de la Narbonnaise en Méditerranée. Avec la participation active de Pôle Emploi Narbonne, Yann Pajot, charpentier de marine, passionné depuis toujours par les vieilles coques, ouvre des centaines de perspectives dans les métiers de la mer, de la voile. 

Lo_mas_sublime film muet 1927_pailebot public domain Author Enric Ponsa (died 1939)

Après la Marie-Thérèse, barque de patron du Canal Royal (Toulouse 1855), les Deux-Frères (Banyuls 1911), voilier de la Société Nautique narbonnaise qui remporta tant de régates, le chantier a permis la restauration ainsi que la mise aux normes pour accueillir des passagers, du Miguel Caldentey, 2 mâts, 29 mètres, un pailebot à voiles au nom de son propriétaire, de 1916, actif  jusqu’en 1972 pour finir, pourrissant au fond du port de Canet ; ces bateaux, longtemps à la voile, ensuite au moteur, étaient bons à tout transporter entre les îles Baléares, l’Afrique du Nord, le Maroc et pratiquement tous les ports de l’Andalousie à Marseille. Une vieille photo montre le Miguel Caldentey (1) rempli à ras bord d’oranges, quatre-vingt dix tonnes... de quand elles représentaient un trésor à forte valeur ajoutée et que ceux de ma génération, même s’ils ne l’ont pas connue, associent, dans leurs pensées, à l’orange de Noël racontée un jour, unique, magique car seulement, alors, manipulée par des mains de femmes en tant que marchandise, comme lors du transbordement des wagons à l’écartement français de Cerbère, l’orange cadeau de Noël, plus destinée à périr de sa « belle mort » sur la cheminée qu’à finir mangée... Pailebot de la dénomination anglaise « pilot’s boat », formé de la même façon que paquebot.

On peut dire aussi goélettes : La Santa Eulalia (1918),  3 mâts, 35 mètres de coque, fait la fierté de Barcelone où elle a été restaurée (se visite et navigue en saison le samedi le long de la ville) ; le Pascual Flores, 3 mâts, 34 mètres, aussi construit à Torrevieja (Costa Blanca, province de Murcia) vient de faire escale à Port-Vendres et était à Sète du 30 mars au 9 avril 2023.

Sur mer, les voiliers, sur terre, les chevaux, les bœufs, du vent, du muscle, de la force, tout un naturel qui, parce que le moteur a permis le toujours plus à une espèce humaine toujours plus avide, goulue, insatiable, toujours plus foisonnante à milliards, s’est mise à aller contre et non plus avec la Terre. 

film muet Lo_mas_sublime_1927_Pailebot_Joven_Paquito domaine public Author Enric Ponsa (died 1939)

Non, non, pas des boniments au point de vous faire perdre le pourquoi du Mandirac narbonnais à Agde... Espère, espère, ce qui veut dire « attends, attends » dans la langue de nos pères... tout se résume en espérance... « L’ÉSPÉRANCE », nous y voilà, le dernier représentant des bateaux bœufs, datant de 1881, à l’instar des bêtes, objet, tant que c’est jeune et neuf, d’attentions, d’un respect parfois poussé, puis parce que vieux avec ce que cela suppose d’efforts, de contraintes, ou par égoïsme, voué à l’abandon par-dessus la jambe sinon dans l’inconscience de ce que cette attitude a de méprisable... trois années (2009-2012) dans la vase de l’Hérault à Agde où des laboureurs de la mer le lancèrent, 131 ans plus tôt ! Du chêne datant du XIVe siècle, d’avant 1400 !

O comme cela rappelle ce qui se passe avec notre rapport au passé : froideur jusqu’au défi, suffisance, arrogance crasse de mal dégrossis ennemis de toute culture, d’une agressivité révélatrice d’un complexe ; en face, heureusement, discrète mais déterminée, une force tranquille se cramponnant dans un bien-fondé, vectrice d’un travail de sape, surtout sans bloquer, sans provoquer en réponse aux provocations, sans rabaisser, ce qui reviendrait à se mettre au niveau de ce qui est combattu, vers une adhésion contre une ignorance mère de tous les maux.

« Dans le passé, regarder l’avenir » Boileau (2)

 Et c’est Yann Pajot, passeur de savoirs, avec ses petites équipes mais si enthousiastes, dans un processus étudié et efficace qui, avec le temps que cela demande à une petite structure, après les treize années dédiées au Miguel Caldentey et avant de faire renaître la barque romaine (3), de quatorze mètres quand même, mise à jour, elle, avec ses amphores, dans la masse de sédiments, juste à côté du chantier, déversés par le bras méridional de l’Atax, l’Aude, dans ces lagunes amenées à se combler au fur et à mesure que le delta prenait sur le trait de côte, va redonner vie à « L’ESPÉRANCE », de notre patrimoine maritime.    

(1)  Propriété conjointe de Port-Vendres et Argelès-sur-Mer, le Miguel Caldentey devrait représenter ces villes en été et refaire du cabotage en demi-saisons dans le cadre d’un renouveau du transport à la voile. 

(2) Par contre, appréciant en cela Yourcenar, je ne suis pas Bossuet et Hugo dans ce qu’ils ont dit de péremptoire à propos du passé. 

(3)  Le chantier a déjà restauré une péniche qui transportait du vin, « Les Deux Frères », qui gagnait toutes ses régates sur l’Étang de Bages.