Théodore, Théodore... peut-être avions-nous à Fleury le prénom “
Théodore ”, du moins un exemplaire, porté par un cordonnier pas grand de sa
personne. Depuis quand était-il là, dans cette maison à l'angle,
presque en face du porche de l'église ? Hélas, trois fois hélas, puisque
tout s'éloigne dans les limbes d'un passé pas toujours clair et fidèle,
ce souvenir doit remonter à plus de soixante années en arrière...
Francis Lemarque (1917-2002) chantait « Le Petit Cordonnier » (1956) :
« ... Petit cordonnier t'es bête, bête
Qu'est-ce que t'as donc dans la tête, tête ?.. »
Et
c'est vrai que le nôtre, de petit cordonnier, voulait aussi “ aller
danser ”. Sûrement cela se sut et les cancans durent diffuser bon train,
sauf que cela dépassa la portée médisante des mauvaises langues (nous
disons plus naturellement “ mauvaise langue ” que “ commère ”... les
épouses racontées par Shakespeare à Windsor n'étant devenues “ commères ”
bien que toujours “ joyeuses ” que par un mystère de traduction en
français, peut-être significatif de notre façon de penser) jusqu'à
sortir au grand jour lors de l'audience correctionnelle hebdomadaire du
tribunal de grande instance de Narbonne, président M Plantié-Cazejus
assisté des juges MM Pech et Laroque, M Bousquet procureur de la
République, M Bastide greffier.
L'article
local porte en sous-titre « C'est un vieux cordonnier... ». C'est par
l'intermédiaire du Centre Mondial Familial (1), agence entre autres
matrimoniale (de 1954, sans salarié) que mademoiselle Marie O. A. de
Port-Louis, Île Maurice fit connaissance, aux fins de mariage, avec l'un
de nos cordonniers. Il est vrai que pour une demoiselle de 44 ans,
l'annonce promettait du ciel bleu : « Célibataire, 50 ans,
maître-bottier, plus pension, maison, catholique, allure jeune, visage
avenant, 1 mètre 60, 65 kilos, blond aux yeux marron, bonne santé,
caractère affectueux et gai, aime le cinéma, le théâtre, la radio, la
musique, vie d'intérieur. »
Ils
se sont écrit et le 8 avril (2) Marie débarquait à Marseille, attendue
par Lucien (premier prénom de Théodore). Sauf que Lucien Théodore avait
complètement travesti la réalité : 20 ans de plus, grand infirme (3), de
quoi mortifier la pauvre fiancée. Mais où aller sans autre point de
chute ? Marie a suivi l'imposteur non sans informer sa famille de la
déconvenue. Lucien qui n'envoyait pas les lettres la mit à la porte le
24 mai, avec 500 Francs toutefois. Marie l'accusa de l'avoir frappé ;
pour ce motif, la justice embraya.
Pour
avoir confisqué une correspondance et falsifié sa carte d'identité
(comme si de se faire passer pour plus jeune pouvait compenser son
handicap physique), ne pouvant prendre en compte la tromperie, le
tribunal condamna Lucien Théodore C. à 15 jours de prison avec sursis,
200 F d'amende et 500 F de dommages et intérêts.
« ... Petit cordonnier t'es bête, bête
Qu'est-ce que t'as donc dans la tête, tête ?.. » La placette, aujourd'hui, bien défigurée par un projet de logement social voire d'espace vert en dépit d'un périmètre historique protégé... |
Pas
bête notre vieux cordonnier, différent seulement, et si seul comme il
l'a eu confié à une cliente aujourd'hui pas loin de ses cent ans. Encore plus seul depuis la mort de la maman. Alors, il y en a bien une qui est venue, avec enfants, mais elle a vite repris la porte. Quelque bonne âme lui avait bien suggéré aussi d'essayer avec Anna de la placette, vieille comme lui, petite, bossue.
« Mais vous m'avez regardé ?! » il aurait répondu, trop sûr de son nœud de cravate impeccable.
Pas de
quoi en tirer un film du genre « La Sirène du Mississippi » ; même si
Maurice et La Réunion sont sœurs mascareignes, il est bien sûr déplacé
de comparer Catherine Deneuve et Marie O. A. ... Quant à comparer le
pauvre Lucien à Jean-Paul Belmondo...
Cyphose, scoliose, cypho-scoliose, la bosse intrigue, provoque, elle porte bonheur et puis ne rigole-t-on pas comme des bossus dans tout ce que peuvent dire les “ braves gens ”. Gibbeuse, la lune a droit à plus d'égards... Il n'empêche, les bossus peuplent le monde des arts et des lettres : Carabosse, Polichinelle, Jean Cadoret dit “ de Florette ”, et encore chez Pagnol, Toine, le petit bossu de Naïs. Émouvant, le monologue de Fernandel dans un rôle à l'opposé de ses prestations troupières :
« ...Les petits bossus sont de petits anges qui cachent leurs ailes sous leurs pardessus [...] un petit bossu qui a perdu sa grand-mère est un bossu tout court... »
Pardon de tant digresser (4). Même s'il est dommage de ne rien dire, au passage, sur les grands-mères et le mimosa, c'est encore Pagnol, sans encore évoquer « Les Lettres de mon Moulin ».
Notre Théodore, seulement un
fait divers, certes développé dans la rubrique hebdomadaire du journal
local mais juste un drame humain. De quoi, pourtant, provoquer aussi un flot de
gorges chaudes au village, une réaction de groupe peu charitable,
étrangère à toute compassion personnelle, mais que rien ne peut arrêter. Et puis il paraît que cette nouvelle fiancée aimait le rhum... Théodore, inquiet pour sa pension écornée, aurait incité les Docks Méridionaux voisins à dire qu'il n'y en avait plus en rayon. C'est que les ondes du bouche à oreille, chez les “ braves gens ”, sont encombrées de flux frelatés ; il s'en raconte sur fond de vérité plus que troublé ; les “ fake news ” et autres “ spams ” ne datent pas des réseaux sociaux...
Merci à mes concitoyens, des “ braves gens ” du village, pour l'aide apportée.
(1) ce n'est pas sans rappeler les annonces du « Chasseur Français ».
(2) Oh de quelle année ? 1960 peut-être... Si quelqu'un en sait quelque chose...
(3)
une infirmité peut-être comparable à celle causée par des rhumatismes déformants... que
le parler villageois, sans plus de délicatesse que de fioriture mais
sans penser à mal, saisit en languedocien, en quatre mots crus évoquant
le ventre et le derrière de l'infortuné...
(4) j'oubliais « Le Bombé » (Jean Carmet), compère du « Glaude » (Louis de Funès) dans « La Soupe aux Choux ».
Coucou l’ami Jeu!
RépondreSupprimerJ’ai été très actif ces derniers temps : bois pour l’hiver prochain, débroussaillement de terrains, rénovation de la maison de mon oncle Marcel et plantation d’une multitude de légumes au jardin.
Journées fatigantes et plaisir compensatoire de pouvoir encore le faire à mon âge…
Donc plus beaucoup d’énergie le soir pour poursuivre l’échange de messages.
Mais ton article sur Theodore: Lo cap dedins, lo cuol defora… et la bicyclette adaptée à l’infirmité au niveau du pédalier… m’a rappelé notre enfance à la fois pleine de curiosité et cruelle pour ceux qui étaient « différents ».
Deux misères qui se rencontrent… et l’épilogue au tribunal… et les cancans des braves gens qui n’aiment pas que…
Merci pour ton article plein d’humanité pour notre petit cordonnier un peu bête et pas méchant pour deux sous…
C’est dur à Mayotte en ce moment.
Prends bien soin de toi et de ta petite famille.
À très bientôt.
Ô Chico, je te reçois avec plaisir !
RépondreSupprimerQue l'amitié reste un fil ténu toujours tenu ! Ne t'inquiète pas, outre la satisfaction de te savoir en pleine forme, tu es tout pardonné. Contrairement aux jeunes générations encore étrangères à la mémoire villageoise, tu ajoutes tes pierres à mes petits cailloux de petit Poucet, ce qui est plus qu'appréciable dans ce monde d'attentisme et de passivité affectée... Tu relèves les mots aussi exacts que lapidaires mettant plus à nu, finalement, la curiosité cruelle des gens, que l'infirmité visible. C'est vrai que c'était dit mais sans méchanceté derrière, sans harcèlement je dirais, en pensant à cette perversité qui perdure entre élèves. Et puis, dans quelle mesure serait-ce moins violent, dit en occitan ?.. Sardou a beau prétendre que c'est « plus mignon de se faire traiter de con en chanson », il faudrait toute une étude de psychologie sociétale sinon psychiatrique pour commencer à comprendre ces mécanismes là.
Merci encore pour le pédalier adapté... De même, Josette (elles en savent long les poissonnières) a ajouté que Théodore ne manquait pas de s'embaucher chaque année pour les vendanges.
Al cop que ven l'amic, saves que como un migratur, veni just d'arrivar al pais...
Je ne suis pas natif de FLEURY,mais j'ai épousé en 1974,une fille du village. Mon beau-père m'a souvent parlé de Théodore,car c'était un ami à lui,et d'une anecdote dont il gardait un souvenir heureux.Des personnes s'étant moqué de son infirmité,lui disant qu'il n'était pas "dégourdi",notre brave Théodore,",d'un coup,d'un seul",avait sauté dans un "barricot",en s'exclamant :"Et alors,je ne suis pas dégourdi?,Faites comme moi"!!! Une autre époque, où j'ai connu bien d'autres "figures" de FLEURY !Ainsi va le monde !
RépondreSupprimerMerci pour ce beau témoignage !
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