lundi 30 décembre 2013

Fleury d'Aude en Languedoc. LE RETOUR DU LOUP

Si un froid précoce interdit la sortie des rousilhous, le redoux qui alterne vient contrarier, aussi, cette envie de neige des gosses, quand, le nez sous l’édredon, alors qu’il gèle à pierre fendre, on aime se faire peur avec les loups des contes. Des contes et de la vraie vie aussi, pour un passé pas si lointain même si les grandes forêts ont disparu de nos paysages depuis près de mille ans.

La cuisinière ronflait tandis qu’un cers sifflant décembre harcelait de ses bourrasques la souche de la cheminée. Certainement inspiré par cette atmosphère hivernale, l’oncle Noé, accrochant le tisonnier sur la barre après avoir garni le foyer, raconta comment notre aïeule qui partait à pied jusqu’à Narbonne, eut à se défendre un jour, entre Le Pech de la Pistole et le four à chaux de Mader, avec pour seule arme son bâton, contre les loups. Il restait encore des loups dans la Clape à la fin du XIXème siècle (1).

A propos de mon arrière-arrière grand-mère, mon père confirma :

« .. / .... Mais avant, sur la droite et en tournant à l'ancien petit jardin cultivé jadis par Pantazi (un minuscule triangle où poussait un figuier) et en montant jusqu'au point culminant cet ancien chemin de Narbonne, pris parfois par mamé Babelle pour aller voir sa fille Marie (sœur de mamé Joséphine et de tante Pauline la muette) quand elle était malade à Narbonne – mon arrière grand-mère, qui m'a raconté en languedocien un épisode du Roman de Renart alors que la fièvre due à la rougeole me clouait au lit métallique vert adossé à la cheminée du « salon » dans la chambre où je suis né et où devait mourir en février 1976, mamé Ernestine, mamé Babelle donc, épouse Paul Palazy, y allait à pied ! ... / ... » (2)

Le loup est revenu aussi dans le Jura et les Vosges. Aussi, les lignes de Louis Pergaud n'en semblent que plus proches encore :

« ... /... Et puis ce fut la nuit étoilée dans laquelle la pleine lune peu à peu monta. Une grande torpeur glacée pesait sur le canton ; dans les profondeurs de l'horizon, la bise, en courant sur les paillettes de neige, soulevait comme des sillons d'une écume diaphane. Rien ne bougeait par la campagne et le long des maisons, les chiens de garde, qui d'habitude aboyaient rageusement à la lune, grattaient aux portes avec frénésie et cherchaient coûte que coûte à se réfugier le plus près possible de leurs maîtres.

Alors au cœur de la nuit, au fond de la plaine triste et déserte, longuement retentit le hurlement lugubre et désolé d'un loup ... ; et un autre lui répondit au loin ... et puis un autre encore et ce fut bientôt, sur toute la campagne, le grand concert tragique des vieilles nuits d'antan.

Dans ses antiques domaines d'où l'avait expulsé l'homme, le maître était revenu et son retour proclamait sur ceux des bois, des champs et des maisons le régime implacable et illimité de la terreur... / ... » (3)

(1) En France, si les derniers ont été tués dans les années 1930, depuis 1990, on assiste au retour du loup venant d’Italie. En 2001-2002, certains sont même arrivés dans les Pyrénées après être passés par les Cévennes, la Montagne Noire et les Corbières.

(2) Caboujolette / Pages de vie à Fleury d’Aude II / 2008.

(3) L'arrivée du maître. - Paru dans Mélanges, pp, 15 à 20 ; puis dans Œuvres, t. Il, pp. 349-358. (Le mercure de France 1948) [source Sisyphe.com].
Disponible en e-book libre de droits (pour le lien, si nécessaire, me contacter par un commentaire).


Fleury d'Aude en Languedoc. Le « loup glacé ».


Sûr que les premiers frimas m’ont figé en banquise ou en statue de glace, comme les prisonniers du « loup glacé », ce jeu d’enfants, « une variante du loup-garou », qu’ils disent. Malgré les 30 degrés passés de l’été austral, on joue au loup même à Mayotte. Pourtant cela m’a aussitôt transporté sous d’autres cieux, en novembre-décembre, quand on s’attend à une douceur d’arrière-saison avec, dans notre Clape trempée jusqu’à l’os par quelque épisode dit "cévenol", sous les mouches (1) et les garrouilles (2), des grisets, des boules de neige, des pieds de mouton, et plus que tout, le roi de l’automne chez nous dans la garrigue, le rosilhos (3), aïssaplé sous ses aiguilles de pin.

Plus me plaît le rousilhous sur la braise de gabel (4), ame un pou d’oli, de pebre et de sal, que le foie gras à la poêle... puisque, les années fastes, il n’est pas rare d’en trouver pour Noël, des rousilhous. Hélas, trois fois hélas, macarel même, pour le dire net, les hivers précoces se font plus nombreux : c’est donc vrai que le changement climatique...

Après une vague de froid, même si une douceur humide s’ensuit, pour le rousilhous, c’est foutu, râpé, rétamé... 
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(1) buissons du ciste de Montpellier.    

(2) taillis de chêne kermès.

(3) rosilhon (prononc. rousilhoun), lactaire délicieux, vineux, sanguin, se plaisant sous les pins. Les nôtres, corrigez-moi s’il le faut, sont plutôt carmin, violacés, saumon à la rigueur, que carotte, ce qui ne siérait point dans un pays de vin rubis, rugby et rubicond.

(4) le sarment, la tisana de gabel étant le vin. En Ariège certains disent « oli de gabel ». sauf que je ne trouve pas "gabel" dans le dico panoccitan.