Dans le Clos du Roi, Marcel
Scipion (1922-2013), le berger d’abeilles qui raconte si bien la vie en Haute
Provence, parle de la distillation clandestine de la gnôle. Une façon de faire,
un vocabulaire qui nous sont familiers et, de fil en aiguille, en prolongement,
à propos de son père, une réaction d’ancien combattant de la Grande Guerre face
aux commémorations.
« …
avec un bigot, fourche de fer aux dents courbes, on retirait dans des seaux
toutes les grappes asséchées qui prennent alors le nom de « raque »… »
(1)
Dans les années trente, c’était
déjà interdit de distiller à la maison mais son père attendait pour ce faire la
Toussaint ou le 11 novembre quand tout le monde est occupé avec les fleurs du
cimetière.
« …
le 11 novembre. C’était même ce jour-là que préférait mon père : il disait
qu’il avait l’esprit plus tranquille du côté des gendarmes, car brigadier
compris, ils sont tous ce jour-là devant les monuments aux morts. Mon père, en
bon poilu de Verdun qu’il était – il avait fait quatre ans de tranchée – s’abstenait
de participer à ces fanfaronnades qu’il jugeait inutiles ; il préférait en
profiter pour faire sa goutte… »
(1) la raco, la rafle tirée, à
Fleury, avec le bigos, le préfixe indiquant que les dents sont au nombre de
deux.