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vendredi 29 septembre 2023

LE CAMARGUE (fin)

Rustique, maniable, capable de voltes soudaines, passant vite du trot au galop, le cheval de Camargue s’oriente de lui-même, ne s'engage que sûrement, sait comment aborder les sols qu’il parcourt, les dangers à éviter : le gardian lui fait confiance. En 1905, afin de prouver son endurance, le marquis de Baroncelli lança deux cavaliers jusqu’à Lyon et retour suite à un jour et demi de repos, soit 630 kilomètres au pas en 9 jours (à 7 km/h) dont une étape de plus de 11 heures de selle pour les 80 kilomètres parcourus entre Montélimar et Saint-Vallier. À l’aise dans l’eau, il nage pour traverser les roubines et même le fleuve. En bord de mer, les gardians et deux chevaux sauveteurs ont évacué des marins en danger depuis les navires drossés par la tempête. Officiellement, intégré tel un membre à part entière de la famille, il suivait l’enterrement de son maître, un crêpe noir à la selle. Le Camargue est un cheval de selle, d’attelage aussi, ce qui demandait moins d’aptitudes, l’apprenti étant généralement mené par un compagnon plus âgé, formé de longue date. Autonome, il démontre des qualités remarquables pour dégager les roues des bourbiers. Son rôle ne s’est pas limité au cadre de la manade en tant qu’acteur sinon bétail. Pour les armées, il a été cheval de guerre, de bât. Dans un registre apaisé, les commerçants allaient en jardinières, de village en village, les agriculteurs les regroupaient afin de dépiquer le blé (un piétinement de plusieurs dizaines de kilomètres journaliers pour chaque animal), les vignerons l'utilisaient [Joséphine Palazy, mon arrière grand-mère, utilisait un cheval léger pour aller à la ville (Béziers, Narbonne). Je ne sais pas si c’était un Camargue... Je les imagine sur la route blanche, poudre de riz... petit, je les imaginais en écoutant «... sur la route blanche, un petit âne trottinait...» Reda Caire 1939]. 

Camargue_Jument_et_son_poulain  2011 Creative Commons Attribution 2.0 Generic Author ell brown


Crin Blanc, le cheval à part d’un pays à part peut continuer à galoper dans son pays d’eaux, de terre et de ciel... Partageant la vedette d’un court métrage de 1953, Crin Blanc, le cheval rétif aux hommes, ne transigera sur son indépendance, son caractère sauvage, que par amitié pour Folco, un enfant qui lui ressemble... Folco, un prénom singulier pourtant déjà évoqué ici à propos du “ marquis ” de Baroncelli, un personnage inséparable de la Camargue, du monde des taureaux, chevaux et gardians. 

Sylvie-Vartan-Johnny-Hallyday 1965 Domaine Public Author  国際情報社


1963 “ D’où viens-tu Johnny ? ”... il vient de Paris notre Johnny appelé à devenir national, dans un scénario qui lui fait trouver refuge en Camargue, avec des gardians, des gitans... sur fond de taureaux et chevaux sauvages. 

MarioB141819184704_art Cinéma de jadis Photo sans but commercial autorisée

1970 “ Heureux qui comme Ulysse ”, encore un film [Ce film je l’ai vu au cinéma Balayé, à Fleury, au village... Sans que cela soit ronflant, reconnaissons que sans les moyens d’une ville comme Narbonne, déjà pourvue de nature, nos villages ne se retrouvaient pas dépourvus de culture...] avec Ulysse, le Camargue en vedette, servi par Antonin (Fernandel) : un vieil ouvrier chargé de mener un vieux cheval de 28 ans, réformé, à la mort, auprès d’un picador aux arènes. Désobéissant, Antonin va emmener Ulysse en Camargue. Une belle histoire célébrant la Provence, Arles, la Crau, le bac de Barcarin, la voix de Brassens chantant plus encore les sons “ an ”, trahissant ce qui lui restait de pur accent sétois, chantant la liberté, les vertes années, l’amitié : « ...Battus de soleil et de vent, perdus au milieu des étangs, on vivra bien contents, mon cheval, ma Camargue et moi... » (chanson du film, paroles Henri Colpi, musique Georges Delerue). Après 25 ans de bons et loyaux services, le cheval du gardian est rendu à une vie libre au milieu des siens... Au bout du bout, les chevaux exceptionnels, eux, hommage ultime, sont enterrés debout, avec tout leur harnachement de travail.

lundi 11 septembre 2023

LES SAINTES-MARIES-de-la-MER (fin).

 Le 24 mai, Gitans, Tsiganes, Roms pour le moins de l’Europe entière (ils sont aussi en Amérique du Nord, en Russie...), viennent honorer Sara la Noire, leur sainte patronne, tolérée mais non reconnue par l’Église (la statue n’a droit qu’à la crypte), aussi mystérieusement apparue que le peuple tsigane. Camping-cars, caravanes stationnent par milliers. En minorité, les chevaux des gardians accompagneraient-ils l’immersion rituelle de Sara dans les vagues, les locaux n’apprécient pas cette « invasion » générant des désordres, vu le nombre. Malgré l’intérêt porté aux mystères du peuple du vent, la vieille tension nomade-sédentaire, le rejet réciproque perdurent ; la ségrégation est allée jusqu’à l’interdiction de leurs habits colorés, de leur langue, du nomadisme (chevaux abattus, roues enlevées), des métiers traditionnels (paille, osier, laiton, cuivre...), du mariage entre eux ; leurs noms ont été changés, les femmes stérilisées, les enfants enlevés pour une adoption de force (en Suisse jusqu’en 1973). L’horreur a culminé avec l’élimination génocidaire que  les nazis planifièrent (500.000 victimes ?). Néanmoins un peuple qui se sédentarise, se mêle de plus en plus aux Gadjés malgré les intégrismes religieux se manifestant par l’occupation non autorisée, souvent de complexes sportifs, une invasion que les municipalités démunies subissent. 

Pélerinage_des_gitans_pour_Sarah_la_Noire 2000 Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic Author Fiore S. Barbato

Aux Saintes, chaque soir c’est la fête : on boit, on chante, une manade de guitares au galop accompagne une voix rauque de flamenco et si les robes ne se parent que moins souvent des gros lunares noirs, le taconeo (1) scande toujours le tempo andalou. Il y a longtemps que les Gipsy Kings (famille Reyes) participent d’autant plus qu’ils viennent d’Arles, tout à côté. Il y a vingt ans, le patriarche qui n’aurait pas pu vivre dans une “ maison-prison ”, parlait de sa vie à dresser des chevaux.  

Comme en écho à Magali, en 1983, Hervé Vilard est sensible à ces rapports gitans-gadjés. Sa Méditerranéenne n’est pas provençale mais gitane :

« ...Qui t’a donné ce déhanché, la majesté d’être nu-pieds au milieu des gitanes ?  »  

« ...Prends garde... ton frère nous regarde... Y a danger pour l’étranger... » 

Gardian_lors_du_pèlerinage_gitan 2000 Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic Author Fiore S. Barbato

 Avec les gitans, une autre communauté marque la Camargue, celle des gardians. Aux Saintes-Maries-de-la-Mer, ces derniers rendent hommage à Folco de Baroncelli-Javon (1869-1943), dit « le marquis », manadier, gentilhomme-gardian, majoral du félibrige, écrivain. Ses cendres reposent sur les ruines du Mas du Simbèu (explosé par les Allemands en 1944) où vécut lou marquès. On lui doit les traditions camarguaises, le costume, le travail, les jeux gardians, la course, la reconnaissance des races de chevaux et taureaux de Camargue, la prise en compte de la richesse naturelle et culturelle du territoire. C’est encore lui qui fit accepter le pèlerinage gitan auprès de l’archevêque d’Aix.  

(1)  Le nom des grains de beauté s’applique aussi aux gros pois des robes gitanes. Le taconeo est le claquement des talons de la danseuse.