lundi 20 mars 2023

PORTBOU - Walter BENJAMIN

Ce n’est que bien plus tard, peut-être parce qu’avec tous les aménagements ferroviaires faisant transiter voyageurs et fret, revient aussi l’évocation de tous ceux qui, comme en miroir aux victimes de la Retirada, sont passés dans l’autre sens, vers l’Espagne, afin d’échapper au nazisme et à la complicité active des collabos français. 

Walter_Benjamin_vers_1928 wikimedia commons Photo d'identité sans auteur, 1928

Klee,_paul,_angelus_novus,_1920  Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license. Collection Israel Museum

Walter Benjamin (1892-1940 Portbou), traducteur, écrivain, philosophe, critique d'art, a traduit Balzac, Baudelaire (une dizaine d'années de travail), Proust, St-John-Perse, Paul Valéry... Son destin symbolique traduit l'enchaînement tragique d’un antisémitisme ravivé que le nazisme fera culminer. Rien à voir avec le thème du Juif Errant inspirant les créateurs avant d’être récupéré par une agressive propagande xénophobe générale, Walter Benjamin, d’une famille bourgeoisie aisée, cultivée, opposé à la guerre (réformé pour raison médicale) va se retrouver en Suisse, à Paris, en Italie, à Moscou, à Jérusalem. Dans l’impossibilité de valider ses diplomes suisses, il anime en Allemagne une émission de radio de 1929 à 1932, jusqu'à ce que les nazis s'en mêlent. Après Ibiza en 1932, il se réfugie en France (1933) alors que ses amis et son frère sont arrêtés. N’arrivant pas à être naturalisé français, décidé à émigrer aux USA,  il n’arrive pas à vendre "Angelus novus" une huile sur papier (1920) de Klee (1879-1940). Devenu apatride, interné par les Français, il est libéré grâce notamment à Jules Romains. Le 13 mai 1940 tous les réfugiés allemands devant être arrêtés, après Lourdes et Marseille il aboutit à Port-Vendres le 25 septembre. Un couple ami le fait passer en Espagne. 

Après une dernière lettre 

« Dans une situation sans issue, je n'ai d'autre choix que d'en finir. C'est dans un petit village dans les Pyrénées où personne ne me connaît que ma vie va s'achever », 

le soir du 26 septembre il prend une dose mortelle de morphine à l'origine pour apaiser les douleurs continuelles dues à la sciatique. 

La raison en est, d'après Lisa Fittko (1909 Oujhorod [Aut.Hongrie auj Ukraine]- 2005 Chicago), la résistante qui avec son mari lui a fait franchir la frontière, que les autorités franquistes ont informé que les apatrides seraient renvoyés, une directive jamais appliquée et sans doute sans effet quand Benjamin se donna la mort. 

Son corps n'a jamais été retrouvé de même qu'un manuscrit dans sa serviette de cuir qu'il disait " plus important que sa vie ". 

Son destin très déstabilisant ne lui permit pas de publier de son vivant et son œuvre est presque entièrement posthume. 

L'artiste israélien Dani Karavan (1930-2021) lui a dédié un mémorial vraiment étonnant : "Passagem", honorant le livre sur le paris du XIXe avec les "Passages", ces voies plus ou moins étroites, parfois couvertes, aménagées en galeries. " Passage ", un terme si symbolique concernant la course, la ligne, la trajectoire, le chemin de vie, un thème qui interpelle tant les intellectuels nous donnant ainsi tant à réfléchir. 

Portbou veut dire « port de pêcheurs » et il n’y a plus une seule catalane pour les poissons bleus... Des wagons d’oranges aux Républicains, de mes grands-parents tchèques sur la frontière interdite aux tapas si dépaysantes. Au plaisir d’imaginer toutes ces petites plages, serties dans les roches, que la route du col des Bélitres surplombe sans les voir, vient se mêler un vague à l’âme dû à Benjamin et au passage ; et ce n’est pas Cerbère qui va empêcher les vivants de continuer à communiquer avec les morts. 

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