dimanche 21 septembre 2014

Fleury Occitanie / CHAGRIN D’AMOUR / HOMMAGE A PAUL ARÈNE & FRÉDÉRIC MISTRAL. (II)

Sûr que Paul n’oubliera pas ce matin lumineux au marché de Beaucaire : Naïs sur la placette, troublée, avec ses « arcèlli de Cette ».
Naïs, il l’a dans la peau depuis 1867, année où il devait croiser aussi Frédéric Mistral dont il allait devenir le meilleur ami (1). Rappelons que Paul Arène a laissé l’enseignement pour vivre de sa plume à Paris: des poèmes, articles de journaux, des chroniques ou feuilletons sous le nom d’Alphonse Daudet (2). L’été, il retrouve sa famille à Sisteron, sa ville natale. De là, il parcourt souvent la Provence et le Languedoc, avec ses amis, les félibres. L’histoire raconte que, dans Saint-Rémy en fête, aux arènes, il décrocha une cocarde sous les yeux de Naïs et de Mireille (3), sa sœur. L’évocation de ce souvenir le fit toujours sourire même s’il devait raviver ses regrets. En 1871, il demande à Mistral (4), son confident de demander pour lui la main de Naïs aux Roumieux de Beaucaire. En pure perte. Lui a-t-on signifié les raisons de ce refus ? Sa modeste condition et ses idées de libre-penseur auraient motivé la décision de Louis Roumieux (5), le père, pourtant félibre d’expression occitane aussi. Arène le sait-il ? Nourrit-il encore quelque espoir, quand il fait allusion à la clovisse : «...badave coume éli; » (comme elles, bouche bée) ?
L’histoire nous le présente comme inconsolable. N’aurait-il pas avoué à Mistral que Naïs restait sa muse ? Il lui aurait dédié des œuvres dont le poème La Cigale, peut-être une allégorie qui viendrait évoquer sa disgrâce : 



La Cigale.
L'air est si chaud que la cigale,
La pauvre cigale frugale
Qui se régale de chansons,
Ne fait plus entendre les sons
De sa chansonnette inégale ;
Et rêvant qu'elle agite encor
Ses petits tambourins de fée,
Sur l'écorce des pins chauffée,
Où pleure une résine d'or,
Ivre de soleil, elle dort. 
 PAUL Arène / 1868.  

(1) D’après l’épouse de ce dernier.
(2) Ils en partageaient la rémunération... Pour Les Lettres de mon Moulin, par contre, on sait que Daudet a caché la "participation" d'Arène et certaines nouvelles dont La Chèvre de monsieur Seguin et L’Élixir du révérend père Gaucher sinon La Mule du Pape laisseraient reconnaître le style de Paul Arène.
(3) Miréio, l’héroïne de Frédéric Mistral dont il inventa le prénom. Sa filleule, Miréio Roumieux, justement, fut-elle la première à recevoir ce prénom ? 



(4) Fils de François Mistral (famille aux racines savoyardes) et Adelaïde Poulinet, Frédéric Mistral tient son prénom (qui n'est pourtant que le troisième, après Joseph Etienne) « d'un pauvre petit gars qui, au temps où mon père et ma mère se parlaient, avait fait gentiment leurs commissions d'amour, et qui, peu de temps après, était mort d'une insolation. (4a) »... Quand on sait que la Miréio (4b) du poème épique de Mistral va mourir du même mal attrapé sur la route des Saintes-Maries...
(4a) Mes origines : mémoires et récits de Frédéric Mistral. Paris : Plon-Nourrit, ca 1920. Memòri e raconte éd.Aubanel pour la première édition, éd. Marcel Petit pour la dernière.
(4b) œuvre en douze chants qui donnera aussi un opéra en cinq actes de Charles Gounod.
(5) Louis Roumieux (1829 - 1894) alias Loïs ou Louis d’Arène (rien n’est étrange... tout est coïncidence car je pense au personnage Loïs de Montmajour [Le Château de ma Mère] de Pagnol qui, comme Mistral, bénéficia d’abord d’un accueil enthousiaste à Paris...), Roumieux, donc, devait mourir sans le sou, correcteur d’imprimerie à Montpellier, pour 3000 F par an. Après avoir vécu cigale, il s’en trouva réduit, pour manger, à écrire des chansons sur commande ainsi qu’un roman feuilleton de 950 pages La Favorite de Bou - Amema.

photos autorisées : Arlésienne http://folkcostume.blogspot.com/2012_07_01_archive.html /
cigale wikipedia

vendredi 19 septembre 2014

Fleury en Occitanie / AMOUR DE JEUNESSE ET ARCÈLLIS. (HOMMAGE Á PAUL ARÈNE).

    Si la pression sur les milieux naturels ne dépasse pas des limites irréversibles, les cuisinières de Montpellier pourront peut-être encore trouver des clovisses pour les marier aux épinards. Au cours de ces recherches très incomplètes, un ouvrage (Anthologie du félibrige provençal / 1850 à nos jours / Poésie. Par Ch.-P. Julian et P. Fontan. « Des poètes de la deuxième génération aux poètes actuels » Paris librairie Delagrave 1924) vient mêler nos clovisses à une histoire d’amour...
    Le livre cite, en effet, quelques rares poèmes de Paul Arène dont « LIS ARCÈLLI », une scène de marché à Beaucaire, antérieure à 1871. 

                                                              Petits gris sur le marché d'Arles

    C’est une belle journée qui évoque le printemps et peut-être l’été. Si Paul Arène saisit le blanc éclatant de la chaux sur les murs, "las chatounos", les jeunes filles qui vont en laissant voleter leurs rubans, sont loin de le laisser indifférent. Notre poète a moins de trente ans, il est encore "jeune homme" et en quête de l’âme soeur... A nous qui connaissons la suite, il le laisse entendre, serait-ce avec pudeur et retenue :  
       
            « ... Dóu poulit marcat gardarai memòri... »  Du joli marché, je garderai mémoire...
   
    Lorsqu’il rencontre Naïs, une jeune fille en beauté qu’il semble connaître, ses sentiments se confirment :

«... /... Si péu frisadet, de rouge flouca,                   ... / ... Ses cheveux mis en forme, de rouge pomponnée,
Naïs, aquéu jour, fasié soun marcat;                                  Naïs, ce jour-là, faisait son marché ;

Coume passerian subre la placeto,                                    Alors que nous passions sur la placette,
Croumpavo Naïs d'arcèlli de Ceto;                                    Elle achetait, Naïs, des arcèlli de Cette ;

Croumpavo d'arcèlli, e quand nous veguè,                         Elle achetait des arcèlli, et quand elle nous vit,
Leissè tout, Naïs, e nous sourriguè...»                                Elle laissa tout, Naïs, pour nous sourire... (1)

           
    Naïs achetait donc des clovisses, ces "arcèllis" qui viennent de la ville de Cette (orthographiée « Sète » seulement après 1927) ; ce n’est qu’un détail car elle aurait pu tout aussi bien prendre des sardines, des escargots à côté ou des tomates plus loin. Ce qui importe est que la circonstance la trouble :

«... Adounc la vesènt s'enfloura, pecaire!                       ... Ainsi nous voyons son teint fleurir, pauvrette !
— Vous aurié fa pòu, moussu voste paire?.. »              
—  Vous aurait-il fait peur, monsieur votre père ?.. »

    Paul Arène se promenait donc sur le marché avec le père de la jeune fille. Ils la taquinent un peu et reparlent, au repas du midi,  de ses pommettes rosissantes :

«... Aquéu meme jour dinavian ensèn:                             Ce même jour nous dînions ensemble :
Naïs nous countè la causo en risènt;                               Naïs nous raconta la chose en riant ;

En risènt Naïs me pourgié d'arcèlli...                              En riant, Naïs me présenta les clovisses...
E coumpreniéu pas, badave coume éli;                          Et je ne comprenais pas, comme elles, bouche bée ;

Mai ié sounje enfin, bedigas que siéu!                            Mais j’y pense enfin, nigaud que je suis !
Sounje qu'erian dous: soun paire emé iéu,                      Je réfléchis que nous étions deux : son père et moi,

Lou jour que Naïs, subre la placeto,                              Le jour que Naïs, sur la placette,
Rougiguè 'n croumpant d'arcèlli de Ceto. »                    Rougit en achetant des arcèlli de Cette.
               
                        Paul Arène. Sisteroun, 22 de nouvèmbre 1871. (Armana Prouvençau, 1873.)

                                                                     Paul Arène, portrait

    Qu’en touches délicates, cet amour naissant est dépeint... Et comme nos modestes clovisses figurent dans le tableau, on en oublie notre recherche prosaïque, même si la production locale, dont celle des coquillages, a prévalu dans l’alimentation de nos aïeux, une réalité, jusqu’au milieu du XXème siècle sinon les années 60... Une idée qu’il serait bon de promouvoir en priorité, en ce début de troisième millénaire...
    Je vous embête, non, vous qui voudriez savoir si les prénoms Naïs et Paul ont été liés sur un faire-part et un menu de noces aussi copieux que gourmand ?  

(1) ainsi que pour les vers qui suivent, ce n’est qu’un essai de traduction... Toute proposition positive sera la bienvenue ! 

source : http://sites.univ-provence.fr/tresoc/libre/integral/libr0420.pdf

photos autorisées : merci Wikipedia