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mercredi 10 décembre 2025

Le ROCHER, les CHATOUILLEUSES (20)

Des oiseaux, des fleurs, le jaune des allamandas, le rouge des flamboyants et tulipiers du Gabon, le parfum douceâtre des frangipaniers, ne manque, au milieu, que le préfet en tenue « grand blanc ». Le taxi nous dépose dans cette atmosphère, 2 € la course plus un par bagage. De là il faut rallier le débarcadère, trois cents bons mètres séparent du « Quai Ballou » (1), abrité des vents de mousson du nord, au nom de famille visiblement originaire du sous-continent indien, installée à Mayotte depuis 150 ans (2). Abandonnée, l’imposante barre commerciale qui en jetait encore dans les années 90 : le débouché de la barge, l’excentration de la presqu’île par rapport à Petite-Terre, le développement de Grande-Terre, semblent en être les causes. Fini le temps où le Rocher restait synonyme de protection, de dernier rempart contre les razzias sakalaves, contre les sultans batailleurs d'Anjouan.  


Depuis le débarcadère, un catamaran de belle taille, échoué parce qu'éventré en plusieurs points, rappelle la puissance destructrice du cyclone Chido. De l’autre côté de la rampe d'accostage, sur un quai flottant, des gens semblent attendre un embarquement pour Anjouan.

En ce milieu d’après-midi, l’amphidrome n’est que très moyennement fréquenté. « La Chatouilleuse », l’autre bâtiment, termine sa rotation en sens inverse. « La Chatouilleuse », au nom bien trouvé puisqu’il représente et honore les femmes de Mayotte, les chatouilleuses qui pratiquaient afin de signifier à tous les envoyés comoriens qu’ils n’étaient pas les bienvenus, qu’il leur valait mieux rembarquer sans tarder (3). Ne voulant pas en faire trop, peut-être aussi par relâchement, quitte à me rattraper quand je récupèrerai les valises, je ne sors pas le téléphone pour la photo. (à suivre)

(1) en « kusi », la saison sèche des alizés, c’est le quai Issoufali au nord du Rocher qui est utilisé. 

(2) les échanges entre la façade occidentale du sous-continent indien et la côte Est de l’Afrique, de Zanzibar aux Comores, Mayotte, Madagascar et les Mascareignes étaient régis par l’inversion annuelle des vents de mousson. À “ l’époque moderne ”, c’est le tissage anglais demandeur de coton qui a provoqué la misère et l’émigration des Karans et Banians sur les voies commerciales assurées par des boutres. Claniques, ces sociétés matériellement aisées, restent marquées par l’endogamie et l’homogamie des mariages “ arrangés ”. (Qu’une “ Indienne ” au chaperon couvrant la tête et les épaules, me passe son stylo oblige à revenir sur ses façons de voir…).

(3) À la vision de résistance liée au Rocher de Dzaoudzi, en tant que bastion ultime, nous nous devons de joindre l'action des femmes de Mayotte : face à la France se lavant les mains de déshériter, de brader des terres “ volées ” aux locaux, de trahir,  suppléant les hommes, embarrassés de ne pas se mettre la métropole davantage à dos, la position de Mayotte étant des plus délicates, ce sont les femmes qui ont infléchi, pesé pour un le futur de l'île. Pardon de n’avoir retenu que “ les trois Z ”, Zaina Meresse, Zakia Madi, Zéna M’deré et Coco Djoumoi, parmi les meneuses d’une centaine de femmes organisées en commandos de protestation ; avec les chatouilles, elles passaient aussi les nuits à jeter des cailloux sur les toits de tôle rendant ainsi le séjour des officiels comoriens insupportable. L’Histoire est d’autant plus émouvante que les hommes, face à la volonté française de transférer le pouvoir politique à Moroni, se retrouvaient alors tout à fait réduits à l’impuissance.


dimanche 7 décembre 2025

« ...Qui m'est une province et beaucoup davantage... » (17)

Des photos certes, en arrivant, mais comme on en prend de nos êtres aimés, sans raison précise, juste parce qu'on aime... Mayotte avec des trouées de soleil dans un mitage nuageux ; l’appareil survole Grande-Terre, plein centre, la contourne afin de se présenter sur la seconde île habitée, contre les souffles du nord, entre le Kashkazi de Nord-Ouest et le Nyombeni de Nord-Est, éclaireur du premier, mais tout aussi messager de la saison des pluies.  

Ciel mitigé sur Mayotte, ce 11 novembre 2025. Sur l'autre bord de la baie de Chiconi, la petite échancrure au centre de la photo, grâce à l'imposant bâtiment du lycée de Sada (dit « polyvalent » : triste de ne pas avoir un vrai nom...), je situe la maison qui m'abrite. Et comme toujours, tout se bouscule dans ma tête :
1) 11 novembre, je n'ai pas encore marqué ma fidélité au rituel qui chaque année, me fait lire la liste de nos Poilus morts au combat. (fait le 8 décembre en relevant l'occurrence des prénoms, avec six Henri ou Joseph...)  
2) éclair de pensée pour la chèvre de Monsieur Seguin d'Alphonse Daudet ; tout en bas dans la plaine, la maison avec son clos derrière « Que c'est petit dit-elle... »
3) un clos ? et c'est Joachim du Bellay qui dit bonjour :
« ...Reverrais-je le clos de ma pauvre maison, 
Qui m'est une province et beaucoup davantage ? » ; il se sentait exilé, lui, heureux comme Ulysse, de revoir fumer sa cheminée. (1522-1560), son seul refuge... pas migrateur donc Joachim, contrairement à ceux avec au moins deux points de chute ; pas de chance non plus, Joachim, 37 ans, apoplexie, un AVC je pense... 
Toujours du coq à l'âne, merci de me supporter...  


Déplumé, le versant de La Vigie ne présente que des bouloches éparses, de verdure certes mais dépouillé d'arbres, mutilé ; faudrait une photo pour plus de précision quant aux manguiers, aux cocotiers... sauf que fatigue et soulagement prévalent... 

« Tu veux te voir avec beaucoup de cheveux ? Prends vite une photo ! », voici ce que disait la blague entre hommes sur un début de calvitie ? De quoi rire jaune, sur la végétation, suite au passage de Chido, le cyclone, il y a 11 mois de cela. Des flaques, lors du roulage, confortent l’idée d’un bon début de saison des pluies, promesse d'un mieux dans les coupures d’eau potable, plantations et semailles. 

Acacia_roja_-_Flamboyán_(Delonix_regia) 2014 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 2.0 Generic license. Autor Alejandro Bayer Tamayo de Armenia Columbia. 
Étonnamment fourni, celui-ci, à côté de celui de l'aéroport de Mayotte. désolé on n'a pas toujours à cœur de prendre une photo comme de toujours se justifier : mes flamboyants brûleront à jamais pour Petit Georges...   


Aux abords immédiats, durant le roulage, un flamboyant vif vermillon, tel celui, à Sainte-Suzanne, dont le rouge m’avait foudroyé d’espoir en faveur d’un “ Petit Georges ”, 11-12 ans, au Québec, en lutte alors contre une leucémie (1)… Sauf que la vie a une logique que l’espérance n’admet pas ; sauf que l'espoir ne sait pas se taire face à l'unidirectionnel de la vie, parfois une ferrade à vif le rappelle, jusque dans les chairs. 

Dans le conduit de descente où, moins surpris que la première fois, quittant la clim de l'avion, le corps entre en contact avec la réalité climatique de Mayotte, un papier de l’ARS, pistage, dépistage de santé publique, est distribué. Pas de poubelle en vue : reliquat d'un esprit, jadis, un peu rebelle ; de toute façon, on ne peut y échapper : un cerbère empêche l’accès au contrôle des passeports « Seulement le numéro de téléphone », il lance, compatissant. Avec quel stylo ? Où est passé le mien ? Obligeante, une dame m'en prête un. Pas celui du préposé qui ne reviendra pas... Vite, faut lui rendre. Qui plus est, cette aide vient relativiser le sentiment général que les Indiens de l'île sont à part, vivent entre eux depuis ces temps anciens où on les a envoyés commercer puis s'installer là où les affaires étaient possibles... Le temps bouscule nos à-peu-près, faut en convenir et en savoir gré. 

« Monsieur, ce visage, je vous ai reconnu de loin, fallait que je vous parle. Le collège de Chiconi ? Années 90 en histoire-géo, c’est bien vous ? Superbe, souriant, il a fait en sorte de me précéder d’une place pour m’aborder.

— Mais oui, c’est gentil de ta part. Rappelle-moi qui tu es. (la mémoire se réduit aux quelques uns, les derniers surtout, sinon ceux au triste destin, de ces milliers sûrement, d'enfants et adolescents confiés à nos devoirs sur quarante années de métier...). 

— “ Bel… Ben… ” j’ai 47 ans, une belle jeunesse à étudier, avec vous tous, les profs. Une autre époque, du respect, on aimait apprendre… Et vous, toujours à Mayotte ?

— C’est vrai. Vous étiez tous touchants de confiance... Tu sais j’ai eu la chance de ce respect réciproque. Loyauté, sincérité permettaient d’aborder tous les sujets, sans tabou. (J'ai toujours été pour aller de concert plutôt que d'assujettir, de guider mais par le dialogue, la persuasion, pas le bâton). Sinon, oui, ma vie a continué, je me partage entre la métropole et Mayotte, et depuis la retraite, ici, à Sada, et un dernier fils qui a 19 ans aujourd’hui. (Et lui de me citer cinq ou six noms de collègues avant de s’enquérir du mien, un moindre mal, pas de quoi s'en savoir mal. Moi aussi devrais chercher dans mes listes et cahiers de notes. 
Les passeports, les bagages, l’anticipation du trajet à la barge, les conditions n’y sont pas pour une disponibilité sans entrave, un échange sans arrière-pensées).

— De toute façon, je suis toujours à Sada, on se reverra. (Oh ! Pas le temps de demander ce qu’il fait… comme je m'en veux. » (à suivre) 

(1) terrible un gosse demandant à mourir pour ne plus souffrir ! Petit Georges est parti en juillet 2011... La vie nous broie les tripes de ses serres mortelles...