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dimanche 23 novembre 2025

RETOUR À MAYOTTE, quitter son village (4).

...Pourtant, n'a-t-elle pas quitté les siens, elle-même, pour se marier à un Français ? Et ne sommes-nous pas partis trois ans au Brésil, pour échapper, bien qu'au Nordeste, au dénuement, pour ne pas dire à une certaine misère ?  Ainsi, entre l'impossibilité suite à la fermeture des frontières par le communisme, et par dessus tout, le manque de moyens, sans compter ensuite un océan entre eux, ce furent six années de séparation avec ses parents tchécoslovaques... moi je reviens, je migre chaque année et pour quelques mois, pas quelques jours, à me partager bien volontiers, à dépasser le stress de ces “ navettes ” qui ont en partie éteint l'enthousiasme, la curiosité du voyage, l'allant d'années au crédit peu écorné... 

ALCANTARA liner-alcantara-at-sea-1928 Author Kenneth Shoesmith.

Migrateurs plus ou moins nous sommes dans nos familles, par nécessité, pour espérer, gagner sinon maintenir sa place au soleil, par sentiment aussi, sur une base de relations affectives stabilisées, un réseau de liens nécessaires à l'équilibre de chacun. Que serions-nous sans affection vers les nôtres, vers les autres, l'amour pour ses intimes, l'attachement à sa famille, aux amis, et de cercle en cercle l'empathie pour nos semblables de partout ? 
Alors l'émotion, le chagrin des séparations à côté des joies trop vite passées des retrouvailles, on n'arrivera jamais à s'y faire. Pourtant cela conforte, puisqu'il faut s'en consoler par force, sans avoir à combiner, à en faire à sa tête, à provoquer, de n'en relever que le positif, par exemple celui, apparemment paradoxal, de la séparation qui rapproche, ponctuellement grâce au téléphone et, plus durablement, aux lettres puis l'internet, aux mots qui ne s'envolent pas, vecteurs à cumuler une factualité morale plus appréciable qu'une présence réduite à en devenir banale sinon muette, au sein de relations plus ou moins distendues dont seule la perte peut entrainer le « si j'avais su ». 
Les embrasser tous en me souvenant qu'avec mon pauvre père, c'était une embrassade au sens premier du terme, une forte étreinte, émouvante, marquant le départ, l'absence à venir, nos bras enserrant réciproquement nos épaules, la paume bien ouverte à moduler moins et plus sur le dos, le tactile joint au sentiment, le geste lié à la parole pour se dire un « À bientôt, porte-toi bien jusque là ! » quel que soit le reliquat des incompréhensions, maladresses et tensions anciennes dues avant tout au fils, je me dois d'en convenir... 
Et puis on se doit de prendre de la hauteur, à ne pas en rester à des raisons mesquines, tout passe, rien ne dure, tout est vieux, en sens unique : Machado ne disait-il pas que le chemin on ne le voit qu'en regardant en arrière ? 
Alors, pourquoi ressasser tout cela, même si ce ne sont pas des rancœurs ? peut-être parce que ce ne peut être que oui ou non, vie et mort, tout ou rien, dire ou ne rien dire, quitte à s'excuser de s'arroger indûment un droit à la parole tant que, de l'élan initial insouciant de la jeunesse, subsiste une chute lente de feuille morte, puisque j'y ai coupé sans l'avoir mérité, à me demander pourquoi, à me dire que c'est trop beau pour durer... (à suivre)



jeudi 27 mars 2025

Plus compliqué que SAUCISSE et JAMBON (5 et fin).

 Et mon père alors, qui me porte, moi qui suis dans sa maison ? 

Papa, tu es beau ! 


* François Dedieu (1922-2017), professeur de français, de russe, passionné de langues, de mots... (debout, bras tendus, les classeurs empilés de notre correspondance remontent du milieu des cuisses jusqu'au menton). Des lettres et courriels, dans l'acceptation de l'absence physique, plus apaisés que le geste si fort au moment de la séparation pour des mois, à des milliers de kilomètres, qui nous voyait serrés dans les bras l'un de l'autre, dans un « Au revoir papa ! » disant « Je t'aime ! » sans le prononcer. Et merci de m'aimer moi, l'enfant difficile, l'adolescent à problèmes que je fus, si souvent sur la corde raide. Ce qui est sûr est qu'après avoir longtemps imputé mes refus et rejets aux autres, en premier à mon père, j'ai mis très longtemps à reconnaître mes torts. J'ai été un sale gosse... voilà ce qui doit être dit en premier plutôt que de mettre en avant des circonstances “ minimisantes ”... Certains bons côtés auraient-ils quelque peu compensé, à la longue ? Redevant à mon père l'amour des langues, des livres, des mots, par un stratagème qu'il a feint d'ignorer, par le biais de souvenirs que l'âge se permet d'ouvrir, ne serait-ce que pour nos descendants, j'ai osé entreprendre la publication de nos vies pour ce qui les lient au village. Papa a si bien répondu et prolongé que force était de reconnaître qu'un deuxième tome s'écrivait en miroir, un diptyque donc avec « CABOUJOLETTE, Pages de Vie à Fleury-d'Aude II » le concernant, lui, pour un vécu plus loin dans le temps. Resté admiratif et peu critique de la matrice parisienne, avec les années, il n'en est pas moins revenu à reconnaître en lui l'attache vitale au languedocien, variante de l'occitan exclusivement pratiquée entre ses parents bien que bilingues appliqués, exigeants en orthographe, grammaire, conjugaison, bien français et pourtant binationaux qui s'ignorent. 

Tout passe, tout s'efface sauf si on s'efforce à repenser, à recréer, à revivre, à rechercher. Au delà de cette « Festa dal porc » que je retrouve bien qu'oubliée de moi, papa précise « seguida » (1), de la présentation du « Vin Bourru » qu'il me fit, je ressens fort la dette fructueuse que doit chaque fils au père qui continue de le porter (2) (penser l'inverse est une erreur, une vanité n'ayant pas lieu d'être).   

Plus légèrement, en conclusion, à propos de cochon, une des rares choses sympa chez les Parigots, Gabin et Bourvil fourguant du porc au noir dans « La Traversée de Paris », un film d'Autant-Lara, (1956) et encore... d'après une nouvelle de Marcel Aymé (1902-1967), il est vrai “ agent double ” dans la capitale malgré son attachement d'origine à la Franche-Comté...  

(1) terme peut-être local, non trouvé ailleurs, Mistral dans Lou Tresor dau Felibrige notant seulement « tua lou porc », tuer le porc. 

Côté terre, l'étang de la chasse aux canards, entre nous, une petite Camargue magnifique offerte par l'Aude, le fleuve, modeste au point de ne pas se prévaloir de son delta, le fleuve qu'on dit rivière tant il nous est familier... 
 

(2) Guy, professeur d'occitan, portant à bout de bras, chaque mois, une quarantaine d'élèves plus chenus que vermeils, apporte qui il est en plus du cours de langue. La fois dernière, il raconte la double trace de pas laissée dans le sable, au retour bien chargé d'une nuit jadis au canard (les appelants, le matériel avant tout...) ; s'ouvrant à son père, compagnon de chasse, d'un rêve en période triste, étrange et marquant, d'une seule trace de pas derrière eux, il reçut cette réponse aussi spontanée qu'éclairante « Ès ieu que te portavi... », « C'est moi qui te portais... ».