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vendredi 12 décembre 2025

ONGOJOU, un MICROCOSME (22)

Montée d’Ongojou (1), et non « Ongoujou », vers le col ! 184 mètres ! mais à l'image de Mayotte, en virages, contours et détours nombreux, plus, entre courbes de niveaux, un tronçon terminal raide, au-delà de 10 % pour la sensation de se hisser là-haut.
Arrêtés dangereusement avant un tournant, en pleine chaussée, certainement pour un contrôle de passagers lié à l’immigration clandestine, les militaires en treillis doivent aussi assurer la circulation en sens unique. Ongojou : sous le gros manguier, un petit marché tout petit de quelques étals bien qu'aussi en couleurs que celui d’en bas, tout à l’heure (moins récent). Ici plus de marchands que de clients contrairement à jadis, un arrêt, en rentrant de la ville, pour les voitures et taxis-brousse. Ici, des locaux foncièrement agriculteurs, tournant complètement le dos à la mer, aux mots, aux accents, aux variantes lexicales traduisant au cloisonnement d'une île en bassins fermés par des lignes de crêtes effilées aux airs montagneux. Ici, tout en haut du col, des hommes qui regardent les voitures se déverser d'un côté ou de l'autre, ne s'arrêtant guère plus. 


Ici deux frères qui se faisaient vieux, du temps de l'ylang-ylang, des cueilleuses pas chères, des conduits de bambou pour l'eau de distillation, des réserves d'un bois bien que veiné, des alambics ventrus qu'on ne volait pas alors, pour le cuivre... 


Des deux frères en partage, il n'en reste plus qu'un, accroché à une terre qui tient le soleil en laisse du lever au coucher. Le frère qui jouait dans Kilimandjaro International, le groupe local d'une musique devenue traditionnelle, n'est plus. 
À l'image d'Ongojou, Mayotte a tout d'un microcosme... Vrai que l'archipel présente une fragmentation kaléidoscopique de gens avant tout (à Ongojou, une immigration anjouanaise ancienne), de langues donc, bien sûr venues d'ailleurs puis teintées d'insularité, un multiculturalisme qui a prévalu dans l'acceptation d'une immigration locale (70 kilomètres à peine séparent d'Anjouan la voisine) tant que l'idée d'un destin commun ne s'est pas posée... Et maintenant une terre où il faut marquer sa présence sans quoi, tout disparaît, volé, même les vaches quand ce n'est pas la boucherie par une meute de chiens redevenus sauvages...(à suivre) 

  
(1) « Un jour, accompagné par le chef du village, c'est un spécialiste de la préfecture qui s'est pointé. Il a beaucoup parlé et quand sa main ne frottait pas la sueur de son front, son doigt pointé allait du puits aux premières cases sauf que l'eau n'a jamais voulu suivre le chemin indiqué. D'autres techniciens sont venus : le terrain, ils l'ont arpenté avec des lunettes de géomètre sauf que l'eau ne voulait rien savoir. ils baissaient tous les bras et ceux du chef en tombaient lorsqu'il informait la population déçue d'un énième échec. Tout le village jasait, les gens riaient sous cape de ces wazungus, ces Blancs prétentieux de faire venir l'eau dans le puits. 
Quand Rondo de l'Agriculture (DAF) a pris la suite, de moqueurs les propos devinrent railleurs. Quand il fit creuser un bassin proche des cases, les femmes ont ricané. Il a posé des panneaux solaires, les hommes l'ont mis en boîte. Quand il a aligné les tuyaux ils ne se sont pas gênés pour se payer sa tête. Mais quand le bassin s'est rempli, alors les cases se sont vidées, n'y croyant plus, les femmes, les hommes, les gosses, l'ont entouré en dansant, en chantant, en tapant des mains. 
Quelqu'un a mis des paroles sur l'air et depuis, la chanson d'Ongojou honore à jamais Monsieur Rondo, le mzungu qui a si bien retroussé les manches pour eux. » Extrait « MAYOTTE...CARTES POSTALES » 1999. 
 
“ Maji a Ongojou             L'eau à Ongojou 
Ya furaha na baraka         Du bonheur aussi de la chance
Rika makini                     Nous étions patients
Rako zilindriliha              Pendant que nous attendions (?)
Rondo awasuli                 Rondo est arrivé 
Na maji yawasili              Et l'eau est arrivée... ” 

Pardon pour ces approximations, sinon, sur un autre air, ici une version sûrement postérieure à l'oralité première. 
Sur Internet, tapez « RONDO DAF Mayotte »... DAAF oui car il faut être au top avec le second « A » d'alimentation ! Sinon, rien, kavu, tsisi, il n'y a pas ! Contrairement à l'administration sans mémoire, tournant les pages au gré de “ l'écumage ” de l'île par des fonctionnaires éphémères, au contrat limité, tremplin seulement vers des points encore à cumuler outremer en vu de quelque promotion au retour, le nom de « Rondo » y est honoré... 

 

samedi 28 mai 2022

Mayotte, petite île, mais dans son océan, comme Cendrillon chez son prince (2)

Attention, avec le découpage de ma chronique en trois volets c'est X dès les premiers mots !  

... les tétons durs jouant les essuie-glace sur ma poitrine. Olivier n'avait que 50 ans : une insuffisance l'emporta. Mort aussi le Lazaré, entreprise à toucher des gains et néanmoins repaire de plaisirs solidaires. Mieux vaut ne pas aller voir ce qu'il y a à la place, l'ère du béton a sabré le rapport séculaire d'un rouge latérite lié aux verts profonds de la forêt primaire, aux clairières défrichées où la lune qui fait pousser éclaire, une lune, jadis égayant le petit peuple entre animisme et islam mais qui ne compte plus que pour rythmer les phases du ramadan. 

Qu'est-ce qu'il a chanté Lama, dans la mesure où je ne relève que ce qui me recoupe ? "Une île, entre le ciel et l'eau... tranquille comme un enfant qui dort... fidèle à en mourir pour elle". Comment ne pas évoquer, d'ici, épaulés par quelques relais en métropole, ces hommes et ces femmes qui ont sacrifié leur personne à la cause de Mayotte secouant des chaînes qui sonnaient il n'y a guère, au cou et aux pieds des esclaves déportés d'Afrique ? Des militants de sangs mêlés, prouvant aux simplistes partiaux que la couleur de peau, la religion, ne peuvent piquer qu'au ras des sensitives. Des chatouilleuses pour repousser les envahisseurs, des agitateurs, des orateurs pour mener le peuple, des leaders parce que pour eux, rester français c'est être libre. Une lutte de 55 ans pour arriver au département, le 101e ! Dans les lacets de cette montée au surnom plaisant de "Tourmalet" (70 m seulement mais un mur et cinq têtes d'épingles !), montant sur le plateau de Barakani, dans les bambous et la majesté des frondaisons, ils restent présents, ils vivent en nous. Il faut le dire à nos enfants ! 

Dimanche, cela fera peut-être une trentaine de fois que la route me fredonne tout ça, et pour cette énième fois, plutôt que de se soumettre à la force de l'habitude, le murmure deviendra grondement jusqu'au plus profond de mon être parce qu'une petite voix me force à l'écrire et que même ébranlé, j'ai un peu la naïveté de croire que ça peut me guérir. Le col d'Ongojou, là où la route passe un des rachis volcaniques coupant l'île en petits bassins. Au levant le versant à l'alizé, au couchant, l'autre plus gras des vents de mousson. Des deux côtés, le lagon, pour la joie des enfants mais sur les plages fréquentées seulement. Plus question, en effet, de chercher la crique pour Robinson ou celle des amoureux. Dans les phases aigües, l'insécurité violente a même amené les gendarmes à accompagner des groupes constitués de promeneurs invités à faire connaître à l'avance leur balade. 



Ongojou : là-haut, le vieil Ali fait corps avec son champ. Ses ylangs alignés embaument mais la fleur se ramasserait à perte, d'ailleurs il a démonté les rigoles de bambous pour l'eau de l'alambic, il a vendu les cuves. Qu'importent ces quelques sous, l'inquiétant est qu'on ne vit plus en paix dans ce paradis perdu. Une année on lui a razzié les vaches, quelques mois en arrière, ce sont les chiens errants qui lui ont dépecé un veau vivant, régulièrement des cocos, des régimes de bananes disparaissent, il y a quelques jours un grand avocatier a été dépouillé, des fruits par la suite vendus au bord de la route. J'en oubliais la phalange qui lui manque, alors qu'il gardait un lotissement de wazungus, de Blancs... cela marquait les débuts d'une violence parfois sanglante (années 2000), l'insécurité des braves gens qui se mettent en cage derrière des barreaux aux fenêtres, des portes en fer, les descentes en brousse de bandes de voyous, les attaques, la nuit, des barreurs de routes, les enfants des rues en maraude qui deviennent de jeunes adultes meurtriers comme ces chiens errants. Sur la parcelle mitoyenne issue du partage, son frère presque aussi âgé, ce ne doit être qu'une coïncidence mais qui vient de perdre son fils d'une quarantaine d'années, tué à la machette par une meute d'enfants-loups. Est-ce par fatalisme que ces faits plus que divers n'entament pas une dignité non seulement sans haine mais silencieuse qui plus est. Et s'ils aiment la France, c'est malgré nos dirigeants politiques pourtant si imparfaits. Un Etat si déloyal envers ses gens simples et respectables et trop enclin à servir les gros intérêts... (à suivre)