La porte 16, c'est moins à part, plus pour une clientèle reconnue parce qu'en nombre, d’ailleurs ce n’est pas un autobus qui emmène pour un appareil distant sur le tarmac au milieu d'autres, proches parfois de vénérables aéronefs jadis fumants et pétaradants, de collection, réformés. Désormais nous avons droit à la passerelle télescopique directe vers l’avion. Étonnement aussi, nous sommes à l’heure, enfin, à dix minutes près. En attendant, avec cette histoire de carte d'embarquement, me retrouvant voisin avec un jean déchiré, de ceux qu'on porte pour travailler au champ (je n'ai plus l'âge d'être accessible aux modes), ma place au fond de l'Embraer pratiquement complet est perdue. Période rouge ou bleue, morte ou pleine saison, toute l'année, le monde bouge de plus en plus, c'est d'autant plus visible chez les îliens.
Aude, Languedoc, Tchécoslovaquie, Ariège, Pyrénées, Océan Indien, Lyon, Brésil, ports familiers mais unique maison des humains. Apprendre du passé, refuser la gouvernance cupide suicidaire. Se ressourcer dans l'enfance pour résister, ne pas subir. Passer ? Dire qu'on passe ? Sillage ? Aïeux, culture, accueil, ouverture aux autres, tolérance, respect, héritage à léguer (amour, écoute, cœur, mémoire, histoire, arts...) des mots forts, autant de petites pierres bout à bout qui font humanité.
vendredi 5 décembre 2025
Les NEIGES du KILIMANDJARO (15)
mardi 2 décembre 2025
Si t'as été à NAIROBI, t'as presque été au BURUNDI (12).
Ouf ! je me suis lâché... enfin vous avez compris ! Quelques pas à nouveau, pourquoi pas vers ce comptoir 20B tout au fond, suffisant, suffisamment discret pour des partants à destination d'un confetti de l'Océan Indien... Oui faudrait refaire du muscle... et à la tête aussi, oui, je vous ai compris. Un vol pour Maurice embarque ; un jeune plutôt routard parle de 670 € l'aller-retour (ne pas se baser sur les prix d'appel trop beaux pour être honnêtes...). Retour vers la grande salle d'attente... Mais non, des années en arrière que je les trouve dures, les assises de Nairobi... J'en suis à penser à la dame derrière disposant à côté d'elle d'une dizaine de chapeaux à larges bords empilés lorsque :
« Vous êtes français ? (de la part du voisin)
— Oui, comment savez-vous ?
— Vous attendez à la porte prévue pour Mayotte...
— Ah oui ? (je me suis tourné et, effectivement, nous sommes bien à la porte 16 avec la mention « Mayotte », je ne m'en étais pas rendu compte). Et vous ? vous parlez bien français...
![]() |
| Burundi localisation 2021 Public domain. Author Sanjay Rao |
— J'attends pour Bujumbura, je suis burundais, oui le français est langue officielle, avec l'anglais et le kirundi qui déborde sur le Rwanda, la Tanzanie, le Congo... Alors l'Afrique ?
— Sur bien des points, rien à redire, et surtout à ne pas vouloir être aussi con, excusez du terme, que Sarkozy à Dakar avec son Africain qui ne serait pas « assez entré dans l'Histoire ».
— Vous n'êtes pas respectueux envers un Président de la République... Chez nous...
— Pardon (je le coupe) mais peut-être qu'il est dangereux chez vous de dire le fond de sa pensée... encore une chance chez nous même si les dirigeants sont allergiques aux critiques et voudraient serrer la vis... Je préfèrerais tant être en accord avec ceux qui parlent au nom du pays... j'en suis navré mais la soif de pouvoir se traduit par des attitudes indignes jusqu'à la tête du pays...
— Vous parliez de Sarkozy... ce discours a choqué...
— On ne peut rien vous cacher. Bien sûr, chacun a ses défauts, moi le premier, mais de penser qu'un type honnête ne peut pas gouverner parce que seule une solidarité de copains et coquins sait maintenir en haut de la pyramide un malhonnête du même acabit qui leur profitera, me dégoûte. Sarkozy vous dites ? Il est dans les affaires jusqu'au cou, celles qui rapportent et celles qui devraient lui coûter sauf qu'ils ont tant de pouvoir que les procès ne viennent que plus de dix ans après les faits et qu'une bande d'adorateurs décérébrés restent indéfectibles à les soutenir... Et là il va leur fourguer son bouquin de prisonnier pour 20 jours... de “ bagne ”, honte de rien ces gens-là !
— Je vous suis, vous êtes de ceux qui pensent que la démocratie peut donner une démocrature, première étape vers la dictature...
— Oh, je vous en dit trop, mais vous le faites exprès aussi de m'entraîner sur les rapports entre l'Europe des Blancs et l'Afrique des Noirs ; je peux vous demander ce que vous faites dans la vie ?
— (il fait mine d'en rire) Je suis professeur d'Histoire contemporaine à l'université du Burundi...
— Bravo ! je sentais que la discussion pouvait prendre ce tour avec vous.
— Mais ne le prenez pas tant à cœur... C'est vrai que les Blancs, enfin ceux qui à un moment donné dominent, les Noirs en Afrique aussi, tombent dans les excès... Noire, blanche ou mélangée, la créature humaine est plus qu'imparfaite... Et vous qu'est-ce que vous faites de beau à Mayotte ?
Il a raison, j'ai trop tendance à vider mon sac d'un coup... les gens en vue voient leurs biographies épluchées jusqu'au moindre geste, dernièrement celle d'Ingrid Bergman avec ses parts d'ombre alors qu'on se contentait de l'actrice belle femme... sauf que ça la regarde tandis que la réalité de nos politiques publics nous regarde, nous. C'était à bâtons rompus. J'y suis allé de Giscard grand chasseur de trophées et tombé à cause des diamants de Bokassa, à Mitterand. Que diable, avec sa cagade Turquoise était-il allé fourrer la France dans les tueries et génocides Hutus Tutsis, qui plus est sur d'anciennes colonies belges ? plus choquant encore que Denard et ses Katangais ! Mon interlocuteur m'apprend qu'au Burundi aussi, entre pasteurs nomades à l'origine et paysans sédentaires, et qu'une guerre civile a duré une dizaine d'années (promis j'irai voir sur Wikipedia). (à suivre)
PS : au moment du titre, sûrement afin d'alléger le sujet, ne pas traîner les casseroles des autres... les miennes y suffisent... la muse me dit de plagier la chanson « Si t'as été à TAHITI »... 1958, rien sur Paola la chanteuse et tant sur l'année de mes huit ans...
NAIROBI, fesses et discriminations (11)
Sortie un peu course d'orientation. Un peu perdu je me retrouve à un contrôle absent de ma mémoire. À mon tour, quand je dis au policier aux passeports quelque chose comme « Good morning sir, I am in transit to Mayotte », il me rend le document et, certainement à cause de mon anglais trop basique, joignant le geste à la parole, il s'applique à bien articuler une réponse où je comprends « follow... left... checkpoint... ». Quelle idée aussi de lui souhaiter “ un bon matin ” ! Oui, « hello », bien que trop familier selon moi, aurait mieux convenu non : de suivre à gauche dérouille le cerveau, c'était pour ceux qui descendent ici. Ah... je reconnais le contrôle habituel. La fouille au corps n'est pas si tatillonne qu'à Paris. Ensuite, c'est le même duty-free central mais je ne sais plus s'il y a toujours la boutique de chasse que l'ami Jean-Pierre ne put voir la fois où ils furent cantonnés, encadrés qu'ils étaient par des militaires, mitraillette à la hanche, sans en savoir la cause (début des années 90)... elle ne doit plus s'y trouver à présent que le sentiment général est à la préservation, au safari-photo et non plus à la traque sanglante aux trophées...
| Les mêmes sièges qu'en 2017. |
Beaucoup de monde. Ah... mes fesses se souviennent, elles, de l'assise trop ferme des sièges. Sur les joints du carrelage de l'allée centrale, les roulettes des valises chantent un claclac claclac presque ferroviaire. Se lever, manière de se décompresser le fessier, pour aller aux toilettes aussi ; en permanence, un préposé à la propreté veille à l'état impeccable des lieux ; il procède, pratiquement à chaque passage. Ah... deux chaises longues sont libres, pas celle où la femme d'à côté a allongé les jambes... ce n'est pas le legging avantageant ses formes qui doit tout autoriser, non ? loin de moi l'idée d'aller m'imposer, plutôt celle avec un monsieur pour voisin ; il anticipe, enlève sa sacoche. Une meilleure répartition des kilos devrait soulager là où ça comprime sauf qu'au bout d'un temps certain ça fait mal à nouveau. Signe de jeunesse et avant tout de masse musculaire perdue... et au niveau de la tête, je ne veux pas savoir !
Non loin, un couple d'Indiens à manger et à boire, grands et adipeux qu'ils sont, visiblement sans souci de moyens ; madame est allée dans le recoin à sieste avec de quoi recharger tout ce qui est électrique, électronique, qui s'est libéré ; elle demande à monsieur de la rejoindre ; il se charge de toutes les affaires et fait sa navette. Réconfortant une femme “ libre ” non occidentale. De même, dans toute cette aile, l'invisibilité d'un salon réservé aux privilégiés, pas comme Air France, compagnie nationalisée qui n'a de cesse d'exposer la différence de traitement en faveur des riches : salons “ Gold ”, “ Platinum ”, “ Elite Plus ”, enregistrements, embarquements “ Sky Priority ” ! jusque dans l'autoritarisme parfois cassant des hôtesses de cabine, arrogantes jusqu'aux claquements délibérés des talons-aiguilles ! les seules génératrices de prises de bec, pas étonnant qu'il y ait des guerres... Pas mal pour le pays de la Révolution ! plutôt payer moins cher avec, en prime, des équipages, déjà qui ne défilent pas comme un 14 juillet, n'affichant pas une prédisposition atavique à la domination, qui n'ont pas la grosse tête ! Et ce Président “ monarque républicain ” ! N'en jetez plus ! aux oubliettes la nuit du 4 août, l'abolition des privilèges ! Enfin, ce que j'en dis... belle lurette que je les évite... un instinct sûrement venu d'aïeux ariégeois descendus dans le Bas-Pays pour cause de famine...
jeudi 18 septembre 2025
OUT OF AFRICA 2
Robert Redford est mort avant-hier dans son sommeil, en son ranch de l'Utah, il avait 89 ans. OUT OF AFRICA reste un des films où, en plus d'un charme photogénique naturel, ses talents d'acteur trouvent à s'exprimer.
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| Robert_Redford_Cannes 1988 soit trois ans après la sortie du film under the Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported license. Auteur Georges Biard |
Il se trouve aussi qu'une migration depuis plus de trente années entre l'Europe et Mayotte, archipel français du Canal de Moçambique, me pousse à plus d'intérêt et de curiosité pour l'escale à Nairobi et le Kenya survolé.
Motivé par une regrettable mais banale occurrence de l'existence, la mort de l'acteur, ainsi que par la programmation, en hommage, d'OUT OF AFRICA, je ne peux m'empêcher d'exprimer un fort attachement à une terre mahoraise, à un petit peuple maoré qui m'ont tant donné, même si une certaine impudeur prétentieuse m'amène à extérioriser une intimité que les quidams anonymes par définition, ne tiennent généralement pas à exposer...
Deuxième volet ici : Mayotte et son contexte régional.
Autant de pistes attestant d'une prétendue intelligence de sapiens alors qu'une indécente et impitoyable realpolitik en gâche les chances et la ruine jusqu'à l'étouffement ?
Mayotte se bat afin de ne plus rester le petit confetti de prospérité (si relative, si inégalitaire) devant stagner à cause de l'océan de misère autour.
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| Mussiro masque de beauté Mozambique 2015 under the Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. Author Emânio Samuel Mandlate |
dimanche 7 mai 2017
LE MONDE NE DEVRAIT ÊTRE QUE CHANSON ET MUSIQUE... (8) / ratés existentiels
https://dedieujeanfrancois.blogspot.com/search?updated-max=2017-03-09T08:24:00%2B03:00&max-results=1&start=24&by-date=false
Et ces Congolaises, africaines d’une palette, de nuances de peaux se fondant dans un horizon d'empathie universelle, "d’amour infini" pour l’humanité, la nature, tel que le définissait Rimbaud, et surtout pas relégué à l’espace fermé, au périmètre pelé, pisse-vinaigre d’un vocabulaire cynique, borné par le sens des mots « blanc », « noir », « clair », « foncé », dans ce qu’ils ont de plus étriqué.
Les femmes, il paraît "qu’il faut savoir leur parler"... Le dire ainsi relève déjà d’un apriori machiste, négatif, irrespectueux... N’est-il pas dégradant de croire, de laisser croire qu’on peut les traiter ainsi, en fruits à cueillir, de les leurrer, moyennant, comme l'ironisait un copain comorien, des « paroles mielleuses » ? Pas seulement, bien sûr mais le jeu du mâle pour la femelle est bien inscrit dans une nature qu'il serait dangereux de dévoyer artificiellement au nom d'une prétendue égalité alors que tout est en complémentarité...
https://www.youtube.com/watch?v=_ifJapuqYiU / Dalida & Alain Delon
Ne dit-on pas aussi, avec trop d’indulgence, pour un séducteur qu’il « aime les femmes » ? Comme si aimer c’était seulement prendre sans partager, sans réciprocité ! Et lui, qui se croit au-dessus malgré des considérations ambiguës, qui n’en ressent pas moins une pointe d’envie pour Don Juan et Casanova ! Un vieil instinct animal des origines, sûrement, se met à balancer ce qui ressort de la sincérité ou de l’hypocrisie entre le tourbillon charnel et le maelström de sentiments...
Émilie, elle s’appelle. Elle revient d’Antananarivo où elle a animé un stage de trois jours axé sur le contrôle des compétences du personnel de laboratoire, pour des analyses recevables répondant à la norme ISO 15189 ! Émilie a fait ses études au Congo puis en Afrique-du-Sud, alors qu'on s'attendrait à entendre “ en France ”... ce rappel sur notre prétention ne saurait mieux tomber ! Elle travaille pour le ministère de la santé au laboratoire national de référence des mycobactéries... Formidable la coopération intra-africaine ! L’Afrique qui avance ! Et comment ne pas se laisser aller à aimer Papa Wemba (Congo), Oliver N'Goma (Gabon) et même pour un microcosme comme Mayotte, la kyrielle fournie d'artistes dont Mobyssa, Bedja, Ragnao Djoby, Mikidache, M'toro Chamou, J.R. Cudza, Boura Mahiya, Cadence Mahoraise... et ceux, oubliés, qui pardonneront mes trous de mémoire...
https://www.youtube.com/watch?v=oX3334V69RA Nathalie Gilbert Bécaud
Non, mais encore fataliste, neutre, étrangement calme, elle convient que depuis le génocide des Tutsis au Rwanda, en 1994, les massacres, les viols n’ont jamais cessé dans les provinces de l’Est. L’Ouganda et surtout le Rwanda de Kagamé, puissant voisin, menacent toujours de faire main basse sur tout le Congo tandis que les Occidentaux qui n’ont pas un mot, pas un entrefilet pour des millions de morts, jouent les charognards et pillent en s’en lavant les mains les métaux et terres rares du business des portables. Lui, en reste un instant songeur : ah ! le Congo... l’ex Zaïre... enfin le Congo Kinshasa, la République démocratique, la honteuse opération "Turquoise", justifiée, qui plus est, par un Mitterand s'immisçant de sa métastase françafricaine dans un bourbier ne nous regardant pas s'agissant d'une ancienne colonie allemande puis du roi des Belges... Ce qui n’est pas sans nous faire penser aussi au discours de Dakar qui fit dire à Sarkozy que l’homme africain ne serait pas rentré dans l’histoire et que, à l’image du continent, il serait resté dans le paradis perdu de l’enfance... en somme, un racisme larvé, assumé, qui renvoie à la condescendance paternaliste de ceux qui, encore dans les années soixante, traitaient l’Africain de « grand enfant ». Il se promet de bien écouter « Afrique adieu », cette chanson de Sardou peut-être encore teintée de pessimisme (1) alors que le cœur de l’Afrique résonne en Europe et qu’un discours ambigu demandant explication se fait entendre aujourd’hui : « La France a besoin de l’Afrique pour construire son avenir » Emmanuel Macron. Oiseux non ? parler pour parler... à moins qu'il faille relier au contexte...
Soudain, fermant cette parenthèse historique, cette expectative sur l’avenir de l’Afrique, notre voyageur se demande si cet échange, cette discussion n’auraient été qu’une réponse à une attirance ? Non ! impossible alors qu’un trop-plein de passé refait surface dans son présent tendu, tel le Grand Rift et ses autres failles s'ouvrant de la dépression de l’Afar au Canal de Mozambique, au sein de son cœur-volcan ébranlé de séismes mais qui tient encore et ne se demande pas encore jusqu’à quand.
Une annonce au haut-parleur et elle explique que cette langue swahilie est parlée aussi dans l’Est du Congo justement. Lui, répond que les marchands d’esclaves étaient bien installés sur le grand fleuve mais comme sans y croire, préoccupé, perturbé qu’il est de réaliser d’un coup le charme qui émane de cette femme douce, tranquille et pourtant résolue. Ils se passent des adresses, le stylo, les papiers passent entre quatre mains qui se frôlent. Elle écrit « Bandundu », « Kwilu », « Kikwit ». Tout se précipite. Il lui baise vite les doigts avant sa fuite éperdue vers le comptoir désormais vide où l’on n’attend que lui !
«... Moi j’avais le soleil.../... dans les yeux d’Emilie, je réchauffais ma vie à son sourire, moi j’avais le soleil dans les yeux de l’amour et la mélancolie, au soleil d’Emilie, devenait joie de vivre... »
https://www.youtube.com/watch?v=vEFGQN9qLkQ Dans les yeux d’Émilie / Joe Dassin.
(1) https://www.youtube.com/watch?v=Pmetwm6VWgc « Afrique adieu » 1982 : Michel Sardou.
Ton cœur samba
Saigne autant qu'il peut.
Ton cœur s'en va....»
mercredi 19 avril 2017
LE MONDE NE DEVRAIT ÊTRE QUE CHANSON ET MUSIQUE... (7) / ratés existentiels
Il se remet de la baffe de tout à l’heure, avec ces jeunes, ronronnant comme si de rien n’était ses petites amourettes. Ainsi, Maiité (Maria-Theresa), la petite vendangeuse, revient parcourir son présent. Les images du film deviennent de plus en plus nettes avec ce prénom qui vient habiter ce jour de congé fortuit, en pleines vendanges, après les fortes pluies de la veille et la difficulté à entrer dans les vignes. De savoir qu’il ne pourrait même pas espérer sa présence lors de cette toilette du soir, sur la monture qui le ramène dans sa fragilité d’ado attardé, façon Grand Meaulnes, il refait ce grand tour par les villages du voisinage. Sous les platanes de la gentille départementale, avec le fleuve aux eaux limoneuses, près des tamaris, des prés de l’ancien lit serpentant dans la plaine, avec les souches lourdes de fruits et de promesses, à l’ombre des figues qui font la goutte, elle est partout... Et aux moulins ruinés dans les pins des collines, manquaient, sans qu’il le sache, les voiles dans l’horizon de Don Quijote... Embourbé dans le marécage d’un raccourci qui rallonge, il s’est pris pour un chevalier servant. Plaisir de l’illusion, d’un monde double, imaginaire que lui seul saurait voir et auquel il s’accroche pourtant... illusion d’un plaisir, d’une douleur aussi, seulement mélancolie peut-être... Refrain en boucle «... les fleurs de mandarine... entre quatorze et seize ans... ignorent parfois qu’on les aime déjà...»
https://www.youtube.com/watch?v=nlWnxoEqcJI / Michel Fugain
Tête qui tourne, Tour des villages, tours de roues, tour que prennent les choses... La bicyclette a tant de ce qu’est la vie : pédales, roue qui tournent, cette allure tranquille, ce calme propice aux pensées ruminées, et cet équilibre aussi miraculeux que le fil de la vie, à peine perçu à l’instant où une main paternelle lâche un petit garçon sur un vélo comme sur une ligne de vie... avec toujours l’idée d’horizon pour un chemin qui finalement tourne peut-être en rond vers son point de départ... Tête qui tourne «... Tu fais tourner de ton "ombre" / Tous les moulins de "son" cœur» (1).
https://www.youtube.com/watch?v=UANLvlQKYcI Michel Legrand / les moulins de mon cœur.
Cette ombre si pressante, présente, est celle de la Maiité d’aujourd’hui ! Et lui de s’emporter, de s’épancher dépassé par une passion d’un autre âge, sans crainte aucune du ridicule, vilain Cyrano qui voudrait sa Roxane, parlant trop, parlant faux... Ce qui fut ne saurait être et l’eau vive du ruisseau croupit peut-être pour celui qui n’accepte pas qu’elle tarisse !
Endormie contre son dossier, le voile mystérieux des comptoirs swahilis. A deux sièges de lui, une autre femme donnant je ne sais quoi à une troisième qui répond « Merci ma sœur ». Puis une quatrième devant qui se tourne. Elles parlent français. Elles doivent se connaître. Une "sororité" (2) touchante. Cherchant en vain où sa langue se parle sur ce flanc oriental de l’Afrique, il s’interroge : elles n’ont pas plus les traits comoriens que le type malgache. Et celle qui se tourne présente des paniers gigognes avec un maki décorant le plus grand. Un maki pourtant ne peut venir que de la Grande Île ou des Comores où l’homme l’aurait apporté !.. Pour ne pas croupir plus longtemps, au-delà de ses fantaisies existentielles, dans cette géographie inconnue, lui qui de sa vie jamais ne fut hardi avec les filles, coupe, sabre au clair, s’empare du panier, dit qu’il est joli, demande si c’est dérangeant, pour un homme, d’aller ainsi au marché... Elles sont un peu attrapées mais sourient, très africaines trop indulgentes, trop fatalistes souvent, n’affrontant pas, à l’exemple des occidentales, mais laissant à l’homme le choix ou non de son implication machiste... A l’homme de savoir convaincre de la complémentarité plutôt que d’imposer une virilité surfaite. Elles sont Congolaises, de Kinshasa, commerçante pour le sourire discret atterri de Dubaï, biologiste médicale pour celui, si ouvert et exposé de la femme au panier arrivée d’Antananarivo...
(1) "ton ombre" pour « Ton nom » sous la plume d’Eddy Marnay, le parolier, sauf qu’avec l’accent hégémonique de France « ton ombre » se prononce de la même façon que « ton nom » tant la syllabe finale se délite. “ ...tu fais tourner de ton nom tous les moulins de mon coeur... ”
(2) ne cherchez pas dans le dictionnaire, mais d’être contre, tout contre les femmes me fait trouver frustrante cette fraternité universelle trop mâle. Dans le dico, par contre, il y a "sorose", ne venant pas du latin « soror » (soeur) mais du grec « soros » (amas) en parlant d’un fruit tel que celui du mûrier, formé de carpelles charnus.
mercredi 29 mars 2017
LE MONDE NE DEVRAIT ÊTRE QUE CHANSON ET MUSIQUE... (6) / ratés existentiels
Il s’est levé, tanguant, swinguant un peu, tranquille au fond de son avion, comme pour favoriser la circulation, ce qui d’ailleurs est plutôt conseillé lors de longs vols. Le porteur de rêves taille sa route, toujours dans l’assourdissement des cuivres à ses oreilles... Ils rappellent, vers ces latitudes justement, des orages dantesques, bien que silencieux, allumant des cumulo-nimbus colossaux de part et d’autre de la trajectoire, à l’échelle de l’Afrique. La route atteint le Grand Rift, les marges du lac Turkana au bout du fleuve Omo, de ces exceptions très africaines qui jamais n’atteignent la mer.
Mistral, Cers, ciel pur, étangs ridés, pins torturés, oliviers de Bohême, tamaris, saladelles, Mirèio, Magali, Maiité le retiennent. Même Hugues Aufray a choisi la Camargue pour le Scopitone « Dès que le printemps revient... ». Le troupeau de chevaux qui trottinent, les camarguais des gardians au galop, les vaches noires qui foncent et se jettent dans le marais, les filles brunes aux arènes, le chanteur en santiagues et la complainte des trompettes apportant un peu plus de cette inflexion exotique espagnole...
Du temps qui passe restent le vent pugnace, sa houle dans les roseaux, les grands espaces... et ce romantisme enfui avec les illusions de jeunesse :
«... Après bien des hivers / Pourtant mon cœur se souvient / Comme si c'était hier / Dès que le printemps revient... »
C’est qu’il a su les chanter les filles de la campagne, Hugues Aufray !..
https://www.youtube.com/watch?v=vbYKwjsyDcg Hugues Aufray « Des jonquilles aux derniers lilas ».
« Siffler sur la colline » de Joe Dassin reprenait aussi cette même veine, avec une bergère. Cette fraîcheur champêtre enchantait le public. Peut-être l’arrivée du printemps réjouissait-elle davantage les cœurs à l’époque ? Alors que la ville ne semble plus vouloir se nourrir de la campagne... Ne nous sommes nous pas, petit à petit, éloignés de la nature jusqu’à nous en couper ? Cela ne présage rien de bon pour l’avenir...
https://www.youtube.com/watch?v=_IY1fNs0Tps Joe Dassin « Siffler sur la colline »
Mais au ton léger de Joe et à la truculence paysanne « Des jonquilles aux derniers lilas », le côté ombrageux de ses dix-sept ans préférait le cinéma de bon ton pour son âge pour une « fille du Nord » jamais rencontrée. Un demi-siècle après, il en détourne les paroles :
« ... A-t-elle ces noirs cheveux si longs qui dansaient jusqu’au creux de ses reins ?..
C’est ainsi qu’il l’aimait bien
Si tu passes là-bas vers le Sud où le vent vient de l’autre bord de la mer, oublie, jamais ne donne mon bonjour à la fille qui fut mon amour... »
https://www.youtube.com/watch?v=3ziN1DCgNOo Hugues Aufray « La fille du Nord »
Et là, parce qu’un de ses articles a été "liké"... que le « j’aime » en regard, le visage, le modelé de ce nez, le regard, le sourire, l’ont soudainement paralysé, bloqué, le laissant vivre seulement de l’accélération crescendo de son pouls... Élan spontané ? Bouffée irrésistible ? Posture ? Scénario mental... Il ne sait plus... Il se demande ...
La fille... une autre fille lui repasse l’éclair croisé des regards et les petites secondes qui ressortent comme si c’était d’hier. Ainsi, sans lui demander le moindre avis, son souffle vital avait oublié d’oublier. La vision de cette fille brune aux yeux amande respirait en phase avec lui depuis près de cinquante ans ! Sans qu’il le sache ! Dur à admettre ! Interloqué de "s’étonner lui même" ! Mais pas de voir l’holographie de cette vendangeuse brune se plaquer instantanément sur la fille de la véranda de Julien Clerc :
«... Et si jamais je vous disais,
Ce qui fait tous mes regrets
Mes regrets
Le désespoir de mes nuits
Et le vide de ma vie
De ma vie...
De ma pauvre vie...
La fille de la véranda...
Que je n’ai vue qu’une fois... »
https://www.youtube.com/watch?v=12qBw9ou5cQ Julien Clerc « La fille de la véranda »
Vrai que la fille des vendanges, il ne l’a vue qu’une fois, un aveuglement, oui, mais aussi bref qu’un éclair dans le ciel... le reste, ses regrets, le désespoir de ses nuits, le vide de sa vie, c’est pour amuser la galerie... Sinon, il n’en serait pas à réfléchir à un dédoublement de sa personnalité !
Suite au réveil en douceur dans une lumière arc-en-ciel, les passagers ont pris le petit-déjeuner puis assez vite, le commandant de bord a annoncé la descente vers Nairobi.
Un visage en écusson, un prénom, un nom bien d’Espagne, l’émotion ensuite, enfouie depuis si longtemps. Il n’a pas longtemps hésité à baragouiner un message sans le point d’interrogation inversé :
« Estabas en mi pueblo por las vendimias ? »
Elle a dit oui, précisant même le nom du patron qui l’employait. Il a donné quelques précisions. Elle a répondu, d’abord dans le vague, éteignant un feu incertain, mais d'un coup revigoré quand elle a détaillé «... le Français aux cheveux longs qui venait le soir ?..»
Crédit photos
1. Kenya Turkana lake. Author Hansueli Krapf.
2 & 3. Étangs et paysages du delta de l'Aude.
4. Giraffe Skyline - Nairobi - Park. Author Mkimemia.







