mercredi 11 juin 2025

MOULINS, la FIN des FINS (8).

La circulation des grains relevait d’une réglementation stricte, de laissez-passer3 auxquels répondait une fraude liée à la débrouille sinon au marché noir. Le blé interdit restait caché, dans une alcôve, sous un amas de paille, camouflé en surface par une couche d’orge autorisé. Ça tournait la nuit, ça tournait entre plusieurs moulins, manière de brouiller les pistes, de ne pas se faire attraper ; du coin, de loin aussi, Toulouse, Narbonne, Béziers, à vélo. Les meules pouvaient être plombées mais il arriva que le contrôleur des Indirectes, aussi nécessiteux que tout un chacun, laissât  la pince à sceller et desceller, en retour de service.

À la libération, les couleurs nationales tournant aussi en bout d’aile, eurent du mal à cacher l’hallali des moulins à vent. Vae Victis ! Voués à mourir, à périr abandonnés. Le peu d’activité ne valait plus les dépenses d’entretien : les fermes ne cuisaient plus leur pain et le peu qui restait de travail à moudre la nourriture des animaux condamna l’activité avec la multiplication des concasseurs à demeure. Sentence confirmée lors de la modernisation des pratiques d'élevage, le totaliment, les granulés. 
Et s’il existe une administration raide et aveugle, c’est bien celle des impôts brandissant la patente, le pourcentage sur le chiffre d’affaires ou exigeant de scier les ailes si le moulin fermait. Alors certains sont partis en pièces détachées, une aile par ci, un mécanisme par là, un arbre moteur en établi. Des meuniers ont bien essayé de garder le moulin à peu près ; un y a mis des pigeons puis un hibou s’est installé par un trou dans la capelada ou alors c’est qu’il avait lu Daudet et ses Lettres... 

Illustration d'Edmond Pierre BELVÈS, ici Le secret de Maître Cornille des Lettres de mon Moulin, 1954, Flammarion. Coupable de le faire même sans avoir pour habitude de publier sans autorisation, j'espère que ce sera reçu en hommage à un dessinateur aussi fécond qu'apprécié.  

sauf que, comparé au locataire «… du premier à tête de penseur […] tel qu’il est avec ses yeux clignotants et sa mine renfrognée, ce locataire silencieux me plaît mieux encore qu’un autre, et je me suis empressé de lui renouveler son bail... », le hibou de la vie vraie a fait partir ou tué les pigeons ; les lapins étonnés de Fontvieille c'était plus gentil… 

Fleury-d'Aude, vue de la colline du moulin de Montredon depuis le Sud. Naturelles, les couleurs automnales viennent d'une diapositive (1967) de François Dedieu.

 Alors, ces moulins qui en prime louent notre Cers (honte à ces nordistes présentateurs météo «... Mistral, Tramontan' » !), bien sûr que ce qu’il en reste nous touche intimement. À présent que les derniers meuniers ne sont plus là à faire la moue, à esquiver les questions des curieux, des touristes qu'ils aiment autant ne pas recevoir, les consciences locales semblent avoir réagi aux regrets, aux remords. À Nissan, à Lespignan, non plus des moignons mais des moulins à nouveau sereins d’un sauvetage enfin issu d’une longue maturation. Qui sait si ce sera possible chez nous, suite au rachat peu coûteux de sa colline par la mairie ?         

3 Tels les « congés » longtemps indispensables à la légalité du transport du vin en vrac destiné à la consommation personnelle.

mardi 10 juin 2025

FIN du MOULIN (7).

Attention, le printemps ce sont aussi des indésirables dont les épillets danger de nos compagnons à quatre pattes. À propos de l’homo peut-être sapiens mais toujours aussi c.., si je pense aux pesolhs avant tout des pauvres soldats de 14, je me fais l’effet d’un ectoparasite, d’une tique suçeuse de sang, à pomper le bouquin des Bézian. Alors, un peu d’éther et décrochez-moi, la dernière goutte envenimée sera pour la fin des moulins à vent.

Convergence1, sur cette issue, les premiers mots des Bézian sont « Aprèp un temps n’en ven un autre... » Ajoutant «...I a un temps que trempa e l'autre que destrempa », mon grand-père Jean qui aurait eu 128 ans le 4 juin dernier signifiait aussi que la destinée fait passer du meilleur au pire et vice-versa, une sorte d’après la pluie le beau temps...

Illustration d'Edmond Pierre BELVÈS, ici Le secret de Maître Cornille des Lettres de mon Moulin, 1954, Flammarion. Coupable de le faire même sans avoir pour habitude de publier sans autorisation, j'espère que ce sera reçu en hommage à un dessinateur aussi fécond qu'apprécié.   

Ah ! Avant on se mariait entre moulins, plein de pages et de signatures sur l’acte ! Le meunier de sortie ne prenait pas son repas du panier, non, il mangeait au restaurant et rapportait du sucre, du café, un luxe que le commun des brassiers et journaliers ne pouvait se permettre ! Honoré sinon craint, le meunier comptait autant que le curé ! Même partis de rien, en gérant comme il fallait, ils faisaient fortune, amassaient des pistoles, dotaient les enfants ! La guerre de 14 a sonné le glas de l’époque faste.

Chevaux, charrettes, mulets, ânes réquisitionnés, un coup déjà. Puis les hommes ; malgré les femmes, des vieux vaillants2, l'activité est tombée en sommeil. Et la suite… gueules cassées, poumons gazés, jambes en bois, bras en moins… et puis les filles préféraient chercher ailleurs. Le moulin n’y suffisait plus ; de complément, les terres sont devenues essentielles, sinon l’élevage, oies, canards, dindons, pintades, poules, lapins, cochons. Les hommes partaient même se louer, les fenaisons, les moissons ; un, à la saison, revendait les châtaignes de la Montagne Noire ; un autre a risqué l'achat d'un premier autobus. 

Et puis la farine des moulins n'a plus suffi aux boulangeries naissantes nécessitant l'apport régulier et en quantité de farines que seuls les minotiers (3) pouvaient fournir. 

Après 1918, le pain à la ferme, avec ses avantages et ses défauts, est devenu plus rare. 

Les jeunes sont partis à la ville ou cuire des tuiles à Castelnaudary, ou faire maçon…

39-45, saloperie de guerre encore ! Pourtant, un sursaut pour les ailes au vent, à cause des cartes d’alimentation, du blé d'une France assujettie, réservé à l’Allemagne. (à suivre)

1 Hier dans ma rue, un couple de nos âges cherchant à rejoindre Fleury en fête et ayant perdu l'église m'a remercié en risquant un « adishatz » suivi de « comprenetz ? » — Aco m'agrada plan, j'ai répondu. Un peu devant, la femme est revenue sur ses pas, ils ne comprenaient pas « agradar ». Partage avec l'occitan toulousomontalbanais. 

2 Les auteurs relèvent « mamé » comme je le dis et écris, ça fait plaisir ; nul besoin de « e » final, « mamé » comme « tati » c’est déjà féminin. 

(3) Déjà en 1869, avec le Secret de Maître Cornille, Daudet des « Lettres de mon Moulin » faisait plus qu'annoncer cette mutation irréversible.